Des travailleurs de la mine de Cullinan, près de Pretoria, en Afrique du Sud, le 1er février 2019. / Siphiwe Sibeko / REUTERS

En arrivant à Welkom, c’est la première chose que l’on aperçoit. Rectilignes, hautes de plusieurs mètres, les montagnes de déchets s’étendent le long de la route, à perte de vue. Dans cette ville du cœur de l’Afrique du Sud, les restes de l’extraction minière mangent le paysage, stigmates d’une industrie en déliquescence.

« Lorsqu’il vente, elles dégagent tellement de poussière qu’on ne voit pas à dix mètres », glisse Mpia Nkali, juste de retour du Cap où elle était allée représenter l’organisation Jubilee au vingt-cinquième African Mining Indaba. Ce grand raout annuel, qui s’est tenu du 4 au 8 février, attire les gouvernants et les chefs d’entreprises d’une partie de la planète.

L’extraction reste importante dans l’économie sud-africaine, encore grande productrice d’or, de platine et de charbon, même si l’épuisement des gisements empire chaque jour un peu plus la crise de ce secteur. Jeudi 14 février c’est le groupe Sibanye-Stillwater qui a annoncé le possible licenciement de 6 000 personnes dans le pays, soit 10 % de ses effectifs. Quelques jours avant, c’était un autre et on attend le suivant…

Les mineurs atteints de silicose

« Nous, on était à la conférence parallèle, celle de la société civile sur les alternatives à l’extraction minière, tient à préciser Mpia Nkali. Personnellement, je ne vois toujours pas ce qu’on peut faire d’autre. Ils ont parlé de projets agricoles, mais, ici, rien ne pousse. Quand il pleut, l’eau s’infiltre dans les déchets et pollue tout sur son passage », déplore-t-elle.

La quarantenaire met toute son énergie à défendre les droits des mineurs de la ville où elle est née. Ces dernières années, telle une Erin Brockovich sud-africaine, elle a sillonné Welkom et ses environs pour recenser les mineurs atteints de silicose, cette maladie pulmonaire provoquée par une particule de poussière présente dans les souterrains. En mai 2018, après dix ans de bataille judiciaire, ils ont finalement obtenu gain de cause. Six groupes miniers vont verser 400 millions de dollars (plus de 350 millions d’euros) de compensation à des milliers de mineurs.

Mais pour l’association de Mpia Nkali, le combat ne s’arrête pas là. « Vous voyez ce pick-up en haut du talus ? Les gens autour sont en train de ramasser le vieux minerai pour en extraire de l’uranium. Et ils n’ont pas d’autorisation pour ça », embraie son collègue Themba Ncegzulla, 68 ans. La vie semée d’embûches de cet ancien mineur d’or illustre assez bien la chute de cette ville. Ancien employé des groupes Anglo American et Harmony, il a été licencié à deux reprises, en 1997 et en 2005, et vit désormais sans revenu fixe ni retraite. « Ma femme a eu un cancer et tout l’argent de mon fonds de pension est passé dans les soins, jusqu’à ce qu’elle décède en 2001 », raconte-t-il, fataliste.

Plus que sept mines d’or

Themba s’inquiète désormais des nuages de poussière provoqués par l’extraction d’uranium à quelques mètres des habitations du township de Thabong. Après vingt-trois années passées dans les mines comme prospecteur, il en connaît un rayon. Attablé dans un fast-food, il attrape une serviette de table et un stylo pour dessiner une mine vue de coupe, tout en mangeant un kota, ce sandwich typique des townships creusé dans de la mie de pain. En quelques minutes, la serviette est recouverte de schémas. « Les conditions sont terribles. Les puits peuvent descendre jusqu’à 3 000 ou 4 000 mètres de profondeur. Plus on s’enfonce, plus il fait chaud ». Le thermomètre atteint facilement les 37 degrés. « C’est un travail horrible, mais j’adorais ça », conclut-il.

A Welkom, les premiers filons d’or importants ont été découverts à la veille de la seconde guerre mondiale. De la quarantaine de mines en activité lorsque l’Afrique du Sud était encore première productrice d’or au monde, il n’en reste plus que sept aujourd’hui. Et du côté des mines en opération, la situation n’est guère réjouissante. Les entreprises enchaînent les plans de licenciements et, en retour, les conflits sociaux scandent le quotidien. A Beatrix, une mine gérée par le groupe Sibanye-Stillwater, à une vingtaine de minutes du centre de Welkom, une partie des employées est en grève depuis novembre 2018. A quelques centaines de mètres de l’entrée, ils maintiennent un piquet de grève sur un terrain vague tous les jours jusqu’à midi. Et lorsque la chaleur écrasante rend l’attente insupportable, ils repartent.

« Le désespoir est immense »

Une fois tissée la confiance, deux mineurs du syndicat Association of Mineworkers and Construction Union (AMCU) acceptent de se confier. « Ce qu’on demande est simple : un salaire minimum à 12 500 rands [782 euros]. Sibanye fait des millions de bénéfices », s’insurge Xolani (les deux prénoms ont été modifiés). A 51 ans, il travaille depuis dix ans dans cette mine, huit heures par jour, six jours par semaine, pour 7 000 rands par mois. Il conduit des locomotives qui acheminent le minerai dans les souterrains, tout comme son collègue Ntando, qui liste les griefs. « Le sous-sol est très dangereux. On se blesse très souvent les mains et les membres lorsque les chariots déraillent. Des cailloux nous tombent dessus en permanence. Les abords des ascenseurs sont mal entretenus et couverts de boue. Ils nettoient seulement quand les responsables descendent pour une inspection ! », enchaîne-t-il.

« Le désespoir des mineurs est immense, résume l’analyse David van Wyk. Surtout lorsqu’on sait qu’un mineur sud-africain est payé dix fois moins qu’un mineur australien pour le même travail ». Pour cet analyste du secteur, l’industrie minière ne s’est pas transformée depuis la fin de l’apartheid en 1994. « Elle reste très paternaliste et réfractaire au changement. C’est un dinosaure en voie d’extinction », estime-t-il.

Sibanye-Stillwater n’a pas répondu aux questions du Monde Afrique. Mais Sven Lunsche, porte-parole du groupe Gold Fields, le plus ancien groupe minier d’Afrique du Sud, dont Sibanye-Stillwater s’est détachée en 2012, ne dit pas autre chose. « Notre secteur est en train de mourir à petit feu », explique-t-il. La mine de South Deep gérée par Gold Fields, à 260 km plus au nord, sort tout juste de quarante-cinq jours de grève. Les ouvriers protestaient contre un plan de licenciement de 1 100 personnes, sur les 3 600 que comptait alors le groupe. « Cette mine est assez unique, car c’est la seule souterraine à être mécanisée. Le problème, c’est qu’on ne trouve pas de personnes qualifiées pour diriger ces machines », détaille le responsable. D’après lui, toutes les options ont été explorées avant de procéder à la réduction de main-d’œuvre. « Nous avons racheté cette mine il y a huit ans et, depuis, on perd un milliard de rands par an », précise-t-il.

Des défis géologiques

Parmi les difficultés auxquels les groupes miniers font face, Sven Lunsche souligne les défis géologiques pour remonter cet or de plus en plus loin sous terre, les règlements changeant qui effraient les investisseurs, et la puissance des syndicats, avec des mouvements sociaux émaillés de violences. A Beatrix, deux mineurs ont trouvé la mort fin novembre 2018 lors d’échauffourées avec les forces de l’ordre. Depuis, un véhicule blindé de l’armée monte la garde devant la mine.

De son côté, l’AMCU accuse la direction d’attiser les rivalités entre les différents syndicats pour diviser les travailleurs. Le National Union of Mineworkers (NUM), membre de l’intersyndicale Cosatu qui est alliée au parti au pouvoir, a ainsi signé un accord séparé avec la direction portant sur une augmentation de salaire inférieure à celle demandée initialement. Et, dans la mine, les syndiqués du NUM bénéficient d’un traitement préférentiel dans leur travail quotidien, dénonce l’AMCU.

Le président Cyril Ramaphosa, qui est lui-même ancien leader du NUM, a promis des réformes pour rassurer les investisseurs. « Nous sommes persuadés que notre industrie minière a encore de beaux jours devant elle », s’est-il risqué à l’African Mining Indaba. A Welkom, il n’y a plus grand monde pour le croire.