Alain Finkielkraut, à Paris, le 16 juin 2015. Le philosophe a été pris à partie par des manisfestants qui ont proféré à son encontre des injures antisémites, samedi 16 février, en marge d’un cortège parisien des « gilets jaunes ». / JOEL SAGET / AFP

Editorial du « Monde ». Le philosophe et académicien Alain Finkielkraut avait surpris, en décembre 2018, en apportant son soutien au mouvement des « gilets jaunes ». Il avait alors jugé salutaire la révolte de la France des « invisibles » faisant irruption sur la scène publique pour revendiquer son droit à vivre dignement. Il y a deux jours, dans les colonnes du Figaro, il redisait sa solidarité avec ce mouvement, mais admettait que « les choses se sont très vite gâtées », sous l’effet d’une médiatisation qui serait montée à la tête des « gilets jaunes » les plus en vue.

Après l’agression dont il a été victime, samedi 16 février, il lui faudra se résoudre à ajouter une troisième dimension à ce mouvement : la colère y a donné libre cours à la haine. Haine banalisée contre les élus, à commencer par le président de la République, contre les élites ou supposées telles, contre les riches, contre les médias et, au bout du compte, contre les juifs, éternels boucs émissaires en temps de crise et de conspirationnisme débridé – comme en témoigne l’explosion en 2018 du nombre d’actes antisémites en France.

Le hasard l’ayant fait croiser un cortège de « gilets jaunes » à proximité de son domicile parisien, Alain Finkielkraut a été reconnu et pris à partie par une poignée d’entre eux, qui l’ont agoni d’insultes : « Barre-toi, sioniste de merde », « T’es un haineux et tu vas mourir », « Le peuple va te punir », « Rentre chez toi en Israël ». Et, pour conclure, ces éructations aussi définitives qu’édifiantes : « Nous sommes le peuple », « La France, elle est à nous ». Remerciant la police de s’être interposée rapidement pour éviter que cette altercation ne dégénère, l’académicien a évoqué une « violence pogromiste ».

Les poisons de l’antisémitisme

Les condamnations ont été immédiates et nombreuses : « Négation absolue de ce que nous sommes et de ce qui fait de nous une grande nation » (Emmanuel Macron), « Abjects crétins » (Laurent Wauquiez), « Acte détestable et choquant » (Marine Le Pen), « Menaces répugnantes » (Richard Ferrand), etc. Une partie de la gauche, hélas, s’est montrée plus ambivalente, fustigeant certes le racisme mais dénonçant également les « idées réactionnaires et radicales » de l’académicien (Benoît Hamon) ou « l’instrumentalisation de l’antisémitisme » (Jean-Luc Mélenchon).

Ces réserves sont déplorables. Comme est déplorable, à la fois, la propension de nombreux « gilets jaunes » à minimiser cette agression et leur impuissance, au nom galvaudé de la tolérance, à faire le ménage dans leurs rangs. Nul doute que leur mouvement est avant tout une protestation sociale et ne saurait être réduit aux manifestations d’antisémitisme qui le discréditent depuis des semaines.

Mais il n’est pas moins évident que, faute de stratégie politique et parce qu’il récuse tout mécanisme de représentation, d’organisation, d’arbitrage et de discipline, ce mouvement constitue un bouillon de culture où peuvent prospérer en toute impunité les poisons de l’antisémitisme : celui, ancestral, qui associe juif, argent et pouvoir, celui qui, indexé sur le conflit israélo-palestinien, utilise le paravent de l’antisionisme pour justifier sa vindicte, celui, plus récent, résultant d’un islamisme radical ou celui qui est désormais attisé, avec un succès grandissant sur les réseaux sociaux, par Alain Soral ou Dieudonné, qui prétendent mobiliser contre leur ennemi commun : le juif.

Détestable cocktail, qu’il convient de condamner et de combattre sans relâche.