Le parquet de Paris a annoncé, dimanche 17 février, l’ouverture d’une enquête pour « injure publique en raison de l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou la religion », après les insultes dont a été victime Alain Finkielkraut, samedi, lors de l’acte XIV du mouvement des « gilets jaunes ». Alors qu’il regagnait son domicile, le philosophe de 69 ans s’est trouvé brièvement mêlé au cortège sur le boulevard du Montparnasse, à Paris, où il a été pris à partie par plusieurs manifestants portant un gilet jaune.

Dans une vidéo d’une minute trente diffusée par le site Yahoo Actualités et dans celle d’une minute filmée par le journaliste indépendant Charles Baudry, on entend, entre autres invectives : « Sale sioniste de merde, barre-toi ! », « Facho ! », « Palestine ! », « Rentre chez toi en Israël ! », « A Tel-Aviv, à Tel-Aviv ! ».

L’académicien, qui a dit ne pas vouloir porter plainte, s’est exprimé dans de nombreux médias au cours du week-end. « Ils avaient vraiment envie d’en découdre, a-t-il raconté sur le plateau de LCI, dimanche matin. Je pense que certains d’entre eux voulaient me casser la gueule. C’était une violence pogromiste, je dois le dire. »

Alors qu’Alain Finkielkraut, rapidement protégé par quelques policiers, s’éloignait peu à peu de la foule, un manifestant, dont on voit nettement le visage sur les vidéos, lui lançait : « La France elle est à nous ! Espèce de raciste ! T’es un haineux ! Tu vas mourir ! Tu vas aller en enfer ! Dieu il va te punir ! Le peuple il va te punir ! Espèce de sioniste ! Grosse merde ! »

Condamnation du monde politique

« Un suspect, reconnu comme le principal auteur des injures, a été identifié par nos services », a fait savoir dimanche, sur son compte Twitter, le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner. Selon Le Parisien, cet homme est connu des services de renseignement, « pour avoir évolué en 2014 dans la mouvance radicale islamiste, mais n’a jamais fait l’objet d’un suivi au titre du fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste ».

Les injures ont entraîné une condamnation quasi unanime du monde politique français, à droite comme à gauche, de Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon, en passant par le socialiste Olivier Faure, le communiste Fabien Roussel, Laurent Wauquiez (Les Républicains) et Benoît Hamon (Génération.s).

Emmanuel Macron s’est entretenu au téléphone avec le philosophe, et a exprimé sa réprobation sur Twitter : « Fils d’émigrés polonais devenu académicien français, Alain Finkielkraut n’est pas seulement un homme de lettres éminent mais le symbole de ce que la République permet à chacun. Les injures antisémites dont il a fait l’objet sont la négation absolue de ce que nous sommes et de ce qui fait de nous une grande nation. Nous ne les tolérerons pas. »

Hausse des actes antisémites

Cet incident survient moins d’une semaine après la découverte, le 11 février, de croix gammées taguées sur deux boîtes aux lettres dans le 13e arrondissement ornées de portraits de Simone Veil. Le même jour, on découvrait que deux arbres plantés à la mémoire d’Ilan Halimi à Sainte-Geneviève-des-Bois, commune de l’Essonne où ce jeune juif avait été retrouvé mort en 2006, avaient été sciés dans la nuit.

Toujours le 11 février, le ministère de l’intérieur annonçait une hausse de 74 % des actes antisémites : 541 ont été enregistrés en 2018, contre 311 en 2017 – 335 avaient été recensés en 2016, 806 en 2015, 841 en 2014 et 423 en 2013.

« Je demande aujourd’hui à tous ceux qui sont mobilisés contre l’antisémitisme, juifs et non-juifs, de ne pas confondre les époques, et de ne pas croire que nous vivons le retour des années 1930, a déclaré Alain Finkielkraut, dimanche. Le problème des juifs aujourd’hui, c’est qu’on les traite de racistes parce qu’ils ont un sentiment de solidarité avec Israël, même si [ce sentiment] s’accompagne de la critique des implantations et de la défense d’une solution à deux Etats, ce qui est mon cas. Nous sommes considérés comme solidaires d’un Etat criminel qui martyrise les Palestiniens. C’est cette rhétorique qui nourrit aujourd’hui l’antisémitisme. »

Le sujet sera au menu du 34e dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France, auquel se rendra Emmanuel Macron, mercredi 20 février. Mardi, à 19 heures, un rassemblement contre l’antisémitisme est organisé dans de nombreuses villes du pays, notamment à Paris, place de la République.

Hormis le Rassemblement national, qui n’y a pas été convié, toutes les formations politiques se sont finalement jointes à cet appel lancé par le Parti socialiste : « L’antisémitisme n’est pas l’affaire des juifs. Il est celui de la nation tout entière. »