Le port de Ziguinchor, capitale de la Casamance, au Sénégal, en mai 2015. / David Lewis / REUTERS

Au Club Méditerranée de Cap-Skirring, au cœur de la Casamance, les vacanciers posent leurs valises. A La Paillote, hôtel historique de Ziguinchor, les Français qui préfèrent le soleil Sénégalais à la neige du Vieux Continent enfilent leur maillot de bain. La « paix armée » qui s’est installée sous le mandat de Macky Sall, prévaut pour l’heure dans le conflit entre le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) et l’armée sénégalaise et a signé le retour des premiers touristes, dans cette région ravagée par la crise indépendantiste depuis 1982.

Pourtant, à la veille de l’élection présidentielle du 24 février, la Casamance se sent l’éternelle oubliée. Avec son chômage endémique, cette région hier riche n’arrive pas encore à remonter la pente et attend beaucoup du prochain mandat. Les cinq candidats sont venus y tenir meeting et le président sortant, Macky Sall, prétendant à un second mandat, y a là comme ailleurs rappelé son bilan de « bâtisseur ».

Dans la station balnéaire du Cap – comme la surnomment les locaux –, les touristes filent à la plage à peine descendus de l’avion. Ici, l’atterrissage se fait désormais en douceur depuis que la piste de l’aéroport de Cap-Skirring a été allongée et refaite en 2012 pour accueillir les gros-porteurs et permettre la noria des deux dessertes quotidiennes assurées depuis Dakar par la compagnie nationale autant que des charters du Club Med en provenance de Paris.

« Zone d’intérêt national »

Décrétée « zone touristique spéciale d’intérêt national » par le président Macky Sall en 2015, la Casamance fait l’objet de tous les soins. Ici les hôtels ont été rénovés et les entreprises ont bénéficié d’un programme particulier pour se mettre aux standards internationaux.

Pour faire venir les touristes, l’Etat sénégalais a même fermé les yeux sur le principe de réciprocité des visas, en en exemptant les Français et les autres Européens jusque-là soumis à ce régime. En retour, le classement de la Casamance en « zone à risques » par le Quai d’Orsay, Berlin ou Londres jusqu’en 2016 a disparu des très scrutés conseils aux voyageurs des ministères des affaires étrangères. Et tout cela additionné a permis au tourisme de redémarrer. Trop doucement, au goût de certains. On est encore loin des 75 000 voyageurs comptabilisés avant le début du conflit, certes, mais les flux sont remontés à 25 000 en 2018 contre 22 000 six ans plus tôt, au creux de la vague.

L’accent mis sur ce secteur est nouveau puisque le tourisme avait été un peu le parent pauvre sous les deux mandats du président Abdoulaye Wade (2000-2012). A Cap-Skirring, le mythique hôtel Savana porte encore les stigmates de cette période de grand oubli. Son poste de gardiennage aux murs roses est toujours là, debout, mais l’hôtel qui avait dû fermer en 2002 est depuis tombé en ruine. Comme les deux autres du groupe Sénégal Hôtel ou la majorité des campements villageois qui misaient sur l’essor d’un tourisme plus local, plus authentique.

« De belles promesses »

Si le secteur commence à reprendre des couleurs, certaines mesures prises sous le mandat de Macky Sall se font attendre sur le terrain. C’est le cas du statut fiscal spécial des entreprises touristiques installées à Ziguinchor, dont le décret a été promulgué en juillet 2015, sans que les hôteliers ne notent d’allègement alors qu’il devait les exonérer d’une partie des taxes pendant dix ans.

« Trouvez-moi une seule personne qui en ait bénéficié ! », défie un hôtelier français. « Je me demande si le chef de l’Etat est correctement informé, poursuit-il, interrogatif. En meeting en Casamance le 11 février, Macky Sall a annoncé que la défiscalisation a été votée, certes, mais a aussi promis une cuve à kérosène pour l’aéroport et du goudron à Diembering qui est déjà là ! », s’inquiète ce pionnier du tourisme au cap.

Pour Marie-Elisabeth Sarr, gérante d’une résidence hôtelière, c’est moins à l’étage présidentiel que cela bloque qu’au-dessous, chez ceux qui doivent mettre en œuvre ces changements. « Au début du mandat, on avait de l’espoir parce qu’il y avait de belles promesses, mais la réalité est bien différente », regrette la jeune femme.

Ces professionnels dénoncent pêle-mêle le coût prohibitif des taxes aéroportuaires, la brièveté de la saison calée sur les six mois d’activité du Club Med, ou encore la quasi-absence de touristes autres que français, alors que la Gambie voisine attire cinq à six nationalités différentes.

« Une taxe pour nous protéger »

Et, si le tourisme ne s’estime pas suffisamment boosté, l’agriculture non plus. A 70 km du cap, dans la ville de Ziguinchor, la production de riz, d’arachide, de mangues ou d’anacarde pourrait être meilleure. Si l’arachide est repartie à la hausse depuis la renationalisation en 2016 de la Sonacos – la Société nationale de commercialisation des oléagineux du Sénégal –, l’excédent en mangues et anacardes posent aujourd’hui le problème de la transformation. La Casamance vend trop de matières premières agricoles, en transforme trop peu alors que c’est là que se situe la marge économique potentielle.

Gérant d’une unité artisanale d’anacarde, Elimane Dramé a des fins de mois difficiles. « Il n’y a pas de mesures d’accompagnement pour nous, transformateurs, déplore-t-il. On subit les prix fixés par les Indiens puisqu’on représente moins de 1 % du secteur. L’Etat pourrait mettre en place une taxe à l’exportation qui nous protégerait, comme l’a fait la Côte d’Ivoire. » Et quand on lui parle de la Délégation à l’entrepreneuriat rapide (DER) mise en place par Macky Sall pour aider au financement de projets, il sourit franchement. Un des transformateurs qu’il héberge actuellement a vu son dossier validé par la DER. Mais à quoi bon puisque les financements de la banque agricole, CNCAS, ne suivent pas.

Pour Nour Dine Bangoura, agent économique à l’Agence sénégalaise de promotion des exportations (Asepex), la priorité du premier mandat de M. Sall était d’identifier et de maîtriser la filière anacarde. La suite viendra après. « A partir de cette année, des projets pour aider à la formation vont être mis en place », promet-il. Pour la mangue, le processus a été plus rapide avec le lancement en 2014 du Projet d’amélioration et de compétitivité de la mangue sénégalaise (PACMS).

Retour du faste

Mais là encore, c’est insuffisant, ont envie de répondre les paysans locaux sur cette zone qui, avant le conflit, était considérée comme le poumon du Sénégal tant l’agriculture y était florissante. Bien qu’une fragile paix, sans accord, soit de retour, il est encore impossible de cultiver tous les champs tant qu’ils n’ont pas été déminés. Et ça, ça traîne plus que les changements climatiques, qui, eux, imposent à grande vitesse de nouvelles contraintes au secteur rizicole.

Le pont Farafenniqui enjambe le fleuve Gambie, inauguré en janvier 2019. / EMILIE IOB / AFP

La salinisation des rizières a obligé à en assécher une partie ; des digues anti-sel ont été installées aussi. Mais tout ça n’a pas résolu les problèmes. L’acidification et l’ensablement ont fait baisser les bras à certains producteurs, même si « le Projet pôle de développement de la Casamance, mis en place par l’Etat, la Banque mondiale et d’autres partenaires nous aident à améliorer la production », reconnaît Malamine Sané, président de l’Association des jeunes agriculteurs de la Casamance.

Agriculteurs ou professionnels du tourisme ont conscience des efforts accomplis. Ils savent que leur « président bâtisseur » a réussi à désenclaver cette région séparée du reste du Sénégal par la Gambie avec le pont Farafenni inauguré en grande pompe en janvier. Si tout cela semble encore trop peu, rien n’empêche la Casamance d’espérer le retour d’une économie prospère, celle de la période faste du tout début des années 1980 !