L’« affaire Cumhuriyet », qui a commencé à la fin de 2016 après l’arrestation d’une vingtaine de collaborateurs du journal, est devenue le symbole de la détérioration de la liberté de la presse en Turquie. / OZAN KOSE / AFP

Leur procès est devenu le symbole des atteintes à la liberté de la presse sous Recep Tayyip Erdogan. Un tribunal turc a confirmé en appel, mardi 19 février, des peines de prison ferme contre d’anciens journalistes du quotidien d’opposition Cumhuriyet, rejetant ainsi leurs recours après leur condamnation en première instance l’an dernier.

Accusés d’avoir aidé des « organisations terroristes », ils avaient été condamnés en avril 2018 à des peines allant de deux ans et demi à plus de huit ans de prison. Leur procès, très suivi à l’étranger, avait suscité les critiques de pays occidentaux et de défenseurs des libertés.

Après cette décision, les ex-collaborateurs de Cumhuriyet condamnés à des peines de prison supérieures à cinq ans peuvent encore saisir la Cour de cassation. C’est le cas notamment de l’ex-patron du journal Akin Atalay ou de l’ancien rédacteur en chef Murat Sabuncu. En revanche, selon Cumhuriyet, six anciens collaborateurs condamnés à moins de cinq ans de prison devront retourner derrière les barreaux pour purger le reste de leur peine.

« Je vois le chemin de la prison qui s’ouvre une nouvelle fois »

C’est le cas notamment du caricaturiste Musa Kart. Comme la plupart de ses anciens collègues condamnés l’an dernier, il avait été remis en liberté provisoire pendant le procès, et laissé libre dans l’attente de la procédure en appel.

« Le gouvernement a dit : Renvoyez le caricaturiste en prison ! Oui, je vois le chemin de la prison qui s’ouvre une nouvelle fois devant moi. Prenez soin de vous », a déclaré sur Twitter Musa Kart, récompensé l’an dernier du Prix international du dessin de presse.

Ancien journaliste d’investigation devenu député d’opposition, Ahmet Sik, qui peut encore saisir la Cour de cassation après avoir vu confirmée sa condamnation à sept ans et demi de prison, a lui aussi réagi en partageant sur Twitter une citation attribuée au philosophe français Voltaire : « Nous n’avons que deux jours à vivre, ce n’est pas la peine de les passer à ramper sous des coquins méprisables. »

Contrairement à Musa Kart et à ses autres anciens collègues appelés à retourner derrière les barreaux, le chroniqueur Kadri Gürsel ne sera pas renvoyé en prison en raison du temps qu’il a déjà passé en détention provisoire pendant le procès, toujours selon Cumhuriyet.

« Des verdicts incohérents »

Pour Erol Onderoglu, représentant en Turquie de Reporters sans frontières (RSF), la décision du tribunal mardi montre que les autorités sont « déterminées à aller jusqu’au bout de leur opération punitive » contre Cumhuriyet, l’un des derniers journaux critiques du pays.

Le rejet de l’appel « montre une fois de plus comment des procès politiquement motivés et des verdicts incohérents sont tout simplement validés par des décisions en appel tout aussi partiales », a dénoncé Andrew Gardner, chercheur à Amnesty International en Turquie.

L’« affaire Cumhuriyet », qui a commencé à la fin de 2016 après l’arrestation d’une vingtaine de collaborateurs du journal, est devenue le symbole de la détérioration de la liberté de la presse en Turquie, notamment depuis une tentative de coup d’Etat survenue en juillet 2016. Le pays occupe la 157e place sur 180 au classement 2018 de la liberté de la presse établi par RSF.

Outre cette épreuve judiciaire, Cumhuriyet a traversé une difficile transition l’an dernier avec un changement brusque de l’équipe dirigeante. En signe de protestation, plusieurs dizaines de journalistes, dont la plupart de ceux qui ont été condamnés lors du procès, ont démissionné.