Des milliers de personnes s’étaient rassemblés pour manifester contre l'antisémitisme, place de la République, à Paris, le 19 février. / JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH POLITICS POUR LE MONDE

Sur la place de la République, mardi 19 février, les Parisiens se mêlent et se découvrent. A l’image de ces deux-là qui attrapent la même pancarte dans la pile distribuée sur le terre-plein. Un mot d’ordre à brandir contre l’antisémitisme y a été inscrit pour cette journée d’« union sacrée » décrétée : « #çasuffit. »

« Et vous, vous êtes de quelle origine ?

– Moi ? Je suis du 13e arrondissement, à Paris.

– Non mais je veux dire, juif ou catholique ? »

Un ballon aux couleurs de l’Union des étudiants juifs de France plane sur la foule pas tout à fait assez nombreuse pour notre originaire du 13e arrondissement. 20 000 personnes tout de même, selon les organisateurs. Mais lui n’en démord pas, « ça avait plus de gueule » lors du rassemblement en soutien à Charlie Hebdo, après l’attentat qui a fait 12 morts au siège du journal satirique, le 7 janvier 2015. Et à la mort de Johnny. Pour preuve – et c’en est une à Paris – le métro n’a même pas encore été fermé. Le trafic routier, à peine détourné. « Allez, bonne manif », salue-t-il promptement, avant de filer vers les caméras regroupées un peu plus loin. Il ne voudrait pas rater une célébrité. « Pour peu que ce soit Sarkozy. »

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L’ancien président de droite était bien présent, comme son successeur socialiste, François Hollande, pour qui « l’antisémitisme, ça n’est pas l’affaire des juifs, c’est l’affaire de tous les Français ». Et de toutes les sensibilités politiques. En témoigne la diversité des étiquettes croisées dans la foule : l’ancien candidat socialiste à la présidentielle Benoît Hamon, l’écologiste Yannick Jadot, le communiste Fabien Roussel, le président du parti Les Républicains (LR) Laurent Wauquiez… Quelques visages « insoumis », non conviés dans l’appel de départ, se sont eux aussi montrés, notamment les députés Eric Coquerel et Clémentine Autain ou encore Manon Aubry, la tête de liste de La France insoumise (LFI) pour les élections européennes.

Pour François Hollande, « l’antisémitisme, ça n’est pas l’affaire des juifs, c’est l’affaire de tous les Français ». / JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH POLITICS POUR LE MONDE

Dans leur QG improvisé dans la brasserie Mon Coco, sur la place de la République, les organisateurs socialistes ne cachent pas leur satisfaction. Ils ont réussi à remettre leur parti moribond au centre du jeu. L’appel lancé par le Parti socialiste (PS) pour l’union contre l’antisémitisme lui redonne un rôle moteur, non seulement à gauche mais aussi face à la majorité présidentielle. Certes, personne ne doute de la sincérité de la démarche ici, mais pourquoi cracher sur d’éventuels bénéfices politiques ?

Absences, poèmes et « Marseillaise »

Seule ombre au tableau : la déclaration d’Olivier Faure, la veille sur RTL. Le premier secrétaire du PS a fini par lâcher que « Marine Le Pen était la bienvenue » après avoir expliqué pourquoi le Rassemblement national (RN, ex-Front national) n’avait pas été invité. Un message confus et contre-productif qui en a énervé plus d’un. « Quand on s’en prend aux juifs, c’est la société qui se délite. Qu’il y ait une réaction vive et spontanée, c’est rassurant. C’est important qu’il y ait tout le monde », tente de rassurer Julien Bayou, le porte-parole d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV).

Tout le monde, sauf Emmanuel Macron, qui, s’il a salué ce « geste fort » des partis politiques, ne s’est pas joint à la manifestation parisienne – le président de la République s’est rendu mardi au cimetière de Quatzenheim (Bas-Rhin), où des tombes juives avaient été profanées dans la nuit –, comme François Mitterrand l’avait lui fait en 1990 après la profanation du cimetière juif de Carpentras.

Tout le monde, sauf le chef de file de LFI Jean-Luc Mélenchon qui a préféré se rendre au rassemblement à Marseille pour des raisons de sécurité personnelle, mettant en avant des menaces de mort à son encontre et le souvenir douloureux de la marche en mémoire de l’octogénaire juive Mireille Knoll, en mars 2018, lors de laquelle il fut bousculé et insulté.

Tout le monde, surtout, sauf Marine Le Pen, qui a voulu se distinguer par un hommage isolé. Accompagnée d’autres élus du parti d’extrême droite, elle a déposé quelques fleurs à Bagneux, dans les Hauts-de-Seine, devant une plaque à la mémoire d’Ilan Halimi, jeune juif torturé et tué en 2006 par le « gang des barbares », plutôt que participer à ce qu’elle qualifie d’« énième défilé de convenance instrumentalisé par les partis politiques » dans une lettre adressée à Alain Finkielkraut. Le 16 février à Paris, le philosophe avait été la cible d’insultes à caractère antisémite en marge d’une manifestation de « gilets jaunes ».

Venus manifester contre l’antisémitisme, les milliers de personnes présentes appelaient plus largement à lutter contre la haine. / JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH POLITICS POUR LE MONDE

Le gouvernement, lui, s’est retrouvé en nombre place de la République, pour entourer le premier ministre Edouard Philippe venu écouter Colin, Lili, Mehdi et leurs camarades collégiens récitants quelques vers à la tribune. Le temps de quatre poèmes, les déclarations politiques se sont tues pour laisser place aux mots de Frantz Fanon, Georges Moustaki, Primo Levi et de Simone Veil. « Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l’oreille, on parle de vous ! » Quatre poèmes et autant de Marseillaise entonnées plus tard, la République remballe.

« C’est qui les écharpes vertes devant, des conseillers régionaux ?

– Ou alors des francs-maçons », rétorque une voix sur le départ.

Une Parisienne – qui n’a visiblement pas voté pour l’actuelle édile de la capitale – grommelle au passage d’Anne Hidalgo, qui s’arrête pour serrer quelques mains : « Elle arrive même à provoquer des embouteillages à pieds. »

Il est 20 heures à peine. La République peut se séparer, après une journée rythmée par les condamnations unanimes de l’antisémitisme… sans pour autant gommer les arrières pensées politiques.

A l’Assemblée, Philippe appelle à « l’union sacrée »

Manifestement soucieux de s’extraire des joutes qui dominent habituellement les séances dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, le premier ministre a appelé à « l’union sacrée des responsables politiques et de nos concitoyens », intimant les organisateurs de manifestations à inviter « sans exclusive ». Des propos rassembleurs accueillis par des applaudissements nourris de gauche à droite de l’hémicycle. Y compris – une fois n’est pas coutume – ceux de la dirigeante du RN, Marine Le Pen.

Au sein de la majorité, plusieurs élus La République en marche (LRM) ont d’ailleurs désapprouvé la mise à l’écart du parti d’extrême droite. « Vu le contexte, j’aurais trouvé plus judicieux que le rassemblement prévu contre l’antisémitisme soit transpartisan et unitaire », jugeait ainsi le député LRM, Jean-Baptiste Djebbari dans les couloirs de l’Assemblée. « Le RN, il fallait les inviter dès le départ, plutôt que les laisser de côté. Sinon, cela leur donne l’occasion de se victimiser ! », pestait un autre député macroniste.

Sur un ton moins consensuel, Edouard Philippe a condamné l’ambiguïté de certaines réactions aux insultes à caractère antisémites visant le philosophe Alain Finkielkraut, fustigeant ceux qui ont accompagné leur « c’est inadmissible » d’un mais… « Il n’y a pas de mais », a-t-il tranché, sans citer de formation politique en particulier. Dans l’Hémicycle, tous les regards étaient tournés vers les bancs de LFI après les propos de Jean-Luc Mélenchon, déplorant dimanche une « instrumentalisation de l’antisémitisme ».

Sommé par l’opposition d’« agir » contre l’antisémitisme, sans se contenter de le « dénoncer », le premier ministre a confirmé l’intention du gouvernement de soutenir une proposition de loi ou de présenter un projet de loi visant à « mettre en cause la responsabilité » des réseaux sociaux lorsqu’ils colportent des propos haineux tombant sous le coup de la loi… alors que la proposition de pénaliser l’antisionisme était dans le même temps balayée, aussi rapidement qu’elle était apparue dans les rangs de la majorité.

Malgré les appels à « l’unité » du premier ministre, LR a tenté de rejeter la responsabilité de la montée de l’antisémitisme sur le gouvernement, en l’accusant de ne pas être suffisamment offensif face à l’islam radical. « En prison, à l’école, dans les associations sportives, nous sommes mobilisés partout pour éradiquer l’islam radical », a riposté Laurent Nunez, le secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’intérieur.

« La République est un bloc », dit Macron au Mémorial de la Shoah

Le président de l’Assemblée, Richard Ferrand, avait pourtant amorcé les débats dans un climat solennel, condamnant avec force « l’ignoble » profanation au cimetière juif de Quatzenheim, dans le Bas-Rhin. Durant la nuit de lundi à mardi, des croix gammées et des inscriptions y ont été tracées sur 92 pierres tombales.

« On prendra des actes, on prendra des lois et on punira », a assuré le président de la République, qui s’est rendu sur les lieux dès le début d’après-midi, accompagné du ministre de l’intérieur Christophe Castaner. Un déplacement symbolique au cours duquel Emmanuel Macron, à l’invitation d’un membre de la communauté juive, a revêtu une kippa, écouté la prière des morts prononcée par le grand rabbin de France, Haïm Korsia, et déposé une pierre sur l’une des tombes profanées, « pour que le souvenir ne s’estompe pas ». A son retour, le président du Sénat Gérard Larcher et celui de l’Assemblée nationale Richard Ferrand l’attendaient au Mémorial de la Shoah, dans le quartier du Marais à Paris. Objectif : apporter à nouveau son soutien à la communauté juive et, surtout, montrer l’unité de la République face aux attaques antisémites.

La mine grave, Emmanuel Macron s’est avancé dans la crypte du mémorial pour déposer une gerbe devant l’étoile de David en marbre noir sous le parvis, tombeau symbolique des six millions de juifs morts sans sépulture lors de la seconde guerre mondiale. Il a observé une minute de silence. S’est attardé devant le « mur des noms », où sont gravés les patronymes des 760 00 juifs, dont 11 000 enfants, envoyés depuis la France vers les camps de la mort.

Emmanuel Macron et le grand rabbin de France, Haim Korsia, se recueillent devant une tombe vandalisée, à Quatzenheim (Alsace), le 19 février. / POOL / REUTERS

Il ne fera aucun discours, préférant le réserver au dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), auquel il doit assister mercredi. « La République est un bloc », a-t-il simplement soufflé aux membres de la communauté juive qui l’accompagnaient, dont Francis Kalifat, le président du CRIF, et Joël Mergui, du Consistoire central israélite de France. Le recteur de la grande mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, et Mgr Olivier Ribadeau-Dumas, secrétaire général de la conférence des évêques de France, sont aussi présents. L’unité de la République, encore.

Emmanuel Macron s’était déjà rendu au Mémorial de la Shoah, le 30 avril 2017, entre les deux tours de l’élection présidentielle. « Ce qu’il s’est passé est inoubliable, est impardonnable, ça ne doit plus jamais advenir », avait alors déclaré le candidat. Surtout, il avait fustigé le « relativisme » et le « négationnisme », dans une allusion claire à des propos tenus trois semaines plus tôt par Marine Le Pen, son adversaire du second tour. La présidente du Rassemblement national avait estimé que « la France n’est pas responsable du Vel d’Hiv [la rafle qui a vu, les 16 et 17 juillet 1942, 4 500 policiers et gendarmes français arrêter plus de 13 000 de leurs compatriotes, hommes, femmes et enfants juifs, pour le compte de l’occupant nazi] ». L’union sacrée, alors, s’en était vue brisée.