L’édition du 11 mai 1940 de « La Nation belge » annonce l’invasion de la Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg par les armées allemandes. / AFP

Un brin médusée, la Belgique a découvert, mardi 19 février, que près de trois quarts de siècle après la fin de la deuxième guerre mondiale, vingt-deux de ses ressortissants, ou leur veuve, bénéficiaient encore d’une pension de retraite versée par l’Allemagne alors qu’ils avaient été jugés pour collaboration avec le régime nazi.

Sur proposition d’Olivier Maingain, président du parti centriste Défi, les députés de cinq partis, membres de la commission des affaires étrangères, ont adopté une résolution demandant aux autorités allemandes de leur fournir la liste de ces bénéficiaires afin qu’il soit mis un terme à une situation aussi méconnue que scandaleuse.

L’ambassade allemande à Bruxelles posséderait la liste en question, mais Berlin s’est, jusqu’ici, refusé à répondre à la demande des députés et il y a peu de chances que les élus belges puissent régler rapidement cette affaire : leur assemblée sera dissoute dans quelques semaines en vue des élections législatives du 26 mai et le gouvernement du libéral Charles Michel, désormais réduit à la gestion des affaires courantes, ne se lancera certainement pas dans une polémique avec l’Allemagne. D’autant que celle-ci n’a pas répondu à une première requête, qui lui a été adressée l’an dernier.

Un décret de 1941

Les bénéficiaires de cette pension, dont le montant oscillerait entre 400 et 1 300 euros, ont fait partie de la Wehrmacht ou de la Waffen SS. Cette dernière aurait recruté quelque 10 000 étrangers. C’est un décret adopté en 1941 par le régime hitlérien qui leur a garanti une pension à vie : ces collaborateurs militaires en zone occupée étaient considérés comme des soldats allemands et il s’agissait de récompenser « leur loyauté, leur fidélité et leur obéissance », selon ces dispositions. En 1998, l’indemnité versée aux veuves d’auteurs de crimes de guerre a été supprimée mais cela n’aurait concerné qu’une centaine d’anciens nazis.

Le calcul de la pension versée par l’Allemagne se base sur le nombre d’années que les collaborateurs militaires ont passé en détention, après leur condamnation en Belgique. A titre de comparaison, l’indemnité mensuelle versée aux Belges contraints au travail forcé en Allemagne a été fixée à 50 euros par mois.

« Des gens qui ont commis des crimes ne méritent pas cela », fulmine le député socialiste néerlandophone Dirk Van Der Maelen. D’autres élus de la droite flamande se sont montrés beaucoup plus discrets, par crainte sans doute de ranimer de vieux débats sur la collaboration et l’amnistie en faveur d’anciens collaborateurs, qui concernerait quelque 80 000 Belges au total. Ce thème oppose de manière récurrente Flamands et Wallons, même s’il est désormais avéré que la collaboration, y compris avec la SS, a concerné tant la Wallonie que la Flandre.

Une vingtaine de bénéficiaires encore concernés

En 2018, l’ambassadeur d’Allemagne à Bruxelles a expliqué à un site flamand d’informations qu’une enquête serait diligentée pour déterminer quel rôle exact avait joué la vingtaine de bénéficiaires belges encore concernés. On ignore si elle a réellement eu lieu mais des spécialistes de la seconde guerre mondiale confirment qu’ils ne disposent que de quelques fragments d’information. Les députés réclament dès lors la création d’un comité scientifique belgo-allemand chargé d’éclaircir cette très sombre affaire.

Dans une réaction à la radio Deutsche Welle, la députée allemande Ulla Jelpke, membre de Die Linke (gauche radicale), a évoqué une situation « inacceptable ». L’historien Martin Göllnitz, de l’université Johannes Gutenberg de Mayence, confie lui ses doutes quant à toute modification du statut des bénéficiaires : le gouvernement allemand n’accepte pas le principe d’un examen individuel des dossiers et les règles du système de sécurité sociale sont indépendantes d’éventuelles procédures pénales.