L’avis du « Monde » – à voir

En 2013, Valeria Golino, ­actrice qui a endossé plus de 70 rôles, passait réalisatrice avec un premier long-métrage, Miele, troublant portrait d’une jeune femme qui aidait à mourir des patients ­condamnés dans une Italie interdisant l’euthanasie. Six ans plus tard, elle revient avec Euforia, l’histoire de deux frères aux personnalités opposées, que la maladie de l’un va conduire au rapprochement et à une meilleure compréhension mutuelle.

Dans les deux films, il est question de la disparition et de la difficulté pour ceux qui restent de communiquer avec ceux qui s’en vont. Sans que la noirceur ne vienne jamais prendre le dessus, mise à distance par le caractère solaire d’une réalisatrice qui préfère saisir dans la mort le prétexte à une accélération de la vie. Cette urgence à laquelle oblige la fin proche est portée, dans Euforia, avec une belle énergie qui donne raison au titre du film.

L’énergie vient d’abord de Rome, où se passe le film, belle, vivante, bavarde et festive

L’énergie vient d’abord de Rome, où se passe le film. Belle, vivante, bavarde et festive, la capitale italienne rythme, parmi d’autres, l’existence de Matteo (Riccardo Scamarcio), nouveau riche, homosexuel, communicant aux dents longues qui se dépense sans compter dans les soirées mondaines, le sexe, l’alcool et la cocaïne. Matteo n’a rien de commun avec son frère Ettore (Valerio Mastandrea), modeste et taiseux, père de famille et professeur de collège qui, lui, n’a jamais quitté la petite ville de province où ils sont nés.

Ces différences les ont séparés, autant que les années qui ont passé sans qu’ils se voient. Pourtant, quand il apprend qu’Ettore est atteint d’une tumeur au cerveau, Matteo n’hésite pas à l’héberger, prenant en même temps la décision de cacher la gravité de la situation à la famille, y compris au principal intéressé, et, sans nul doute aussi, un peu à lui-même.

Contrepoids à l’émotion

La confrontation de ces deux tempéraments opposés se manifeste de façon concrète dès l’arrivée d’Ettore dans le grand appartement de Matteo, où sa silhouette pudique et prudente ­apparaît d’emblée comme une fausse note dans le cadre luxueux qui l’accueille – murs blancs, design dernier cri, ­tableaux et objets d’art, équipement haute technologie. Avec ses vêtements ordinaires, son teint grisâtre, il est comme une ombre qui s’éteint dans les regrets et quelques rancœurs. Tandis qu’a côté de lui continue de briller Matteo, qui s’active pour ne pas trop avoir à réfléchir, décide de tout, prend en charge les affaires courantes.

Les tentatives de rapprochement entre les deux frères modulent le ton du film, où la drôlerie apporte son contrepoids à l’émotion

Héritiers d’une enfance complice dont ils gardent le souvenir, les frangins trouvent parfois le rai de lumière par lequel ils réussissent à se rejoindre, à s’abandonner aux confidences, à partager des rires et partir en escapade. Chacun essayant d’entrer dans l’univers de l’autre, avec ­maladresse ou de manière fallacieuse. Ettore en s’achetant une montre hors de prix avec l’argent de Matteo, montrant ainsi que, lui aussi, sait être flambeur. Matteo en décidant de passer également sur la table d’opération pour une intervention esthétique sur ses mollets qu’il juge trop fins. Ces tentatives de rapprochement, ces mouvements l’un vers l’autre, modulent le ton du film, où la drôlerie apporte son contrepoids à l’émotion. Où l’élan de vie ­repousse, par intermittence, la mort annoncée.

Ce pas de deux entre les frères, que la réalisatrice escorte au plus près, en plans serrés, dessine des portraits dont les nuances se ­révèlent à mesure qu’ils se rapprochent. Ce qui était d’abord tracé à grands traits, l’un étant le négatif de l’autre, devient alors plus subtil. Chacun ses blessures, et les ­défenses mises en place pour les tenir à distance. Ces deux hommes sur lesquels la réalisatrice pose un regard tendre redeviennent inséparables au moment où ils vont devoir se quitter. « Et si tu n’existais pas/Dis-moi pourquoi j’existerais/Pour traîner dans un monde sans toi/Sans espoir et sans regret. » La chanson que fredonne Joe Dassin au tout début du film (et qui reviendra de façon plus ­cocasse ensuite) ne dit pas autre chose. Elle accompagne un adieu qui conduit à l’étreinte et ouvre vers l’infini.

EUFORIA de Valeria Golino - bande-annonce officielle VOSTF
Durée : 01:49

Film italien de Valeria Golino. Avec Riccardo Scamarcio, Valerio Mastandrea, Isabella Ferrari (2 heures). Sur le Web : www.paname-distribution.com