Editorial du « Monde ». En Afrique du Sud, une trentaine de cas d’abus sexuels par des prêtres ont été recensés par l’Eglise catholique depuis 2003. Mais aucun prêtre n’a été condamné. Aux Philippines, où plus de 80 % des habitants sont catholiques, peu d’affaires émergent publiquement, alors même que le président du pays, Rodrigo Duterte, assure avoir été lui-même victime d’attouchements d’un prêtre quand il était adolescent. L’épiscopat refuse de dénoncer de lui-même à la justice les agressions sexuelles sur mineurs.

La pédophilie qui abîme l’Eglise depuis des décenies n’est pas un mal essentiellement occidental. Ce n’est pas une question de géographie ou de culture. C’est un problème global.

C’est pour mettre fin aux ravages que provoque cette omerta que le pape François, un an après son désastreux voyage au Chili, où il avait réfuté les accusations contre un évêque soupçonné d’avoir couvert des actes de pédophilie, a convoqué, du 21 au 24 février, à Rome, cent quatre-vingt-dix responsables pour un exercice inédit d’introspection sur les raisons du silence derrière lequel nombre de prélats se sont abrités.

Qu’il s’agisse d’agressions contre des mineurs, de harcèlement contre de jeunes séminaristes, ou même de violences sexuelles contre des religieuses, l’Eglise a trop longtemps refusé de mesurer l’ampleur du fléau et de prendre les mesures pour y mettre fin.

Cette réunion de cent quatorze présidents de conférence épiscopale, de vingt-deux supérieurs d’ordres religieux et de quatorze chefs des Eglises orientales catholiques, notamment, est une initiative salutaire qui montre que le souverain pontife a enfin pris conscience de ce qui ébranle les fondements mêmes de son Eglise. C’est le sort de son pontificat qui va se jouer pendant ­quatre jours.

Une task force

Les participants vont entendre des témoignages de victimes avec l’idée de placer les évêques face à leurs responsabilités pastorales et juridiques envers les fidèles et à observer une totale transparence vis-à-vis des autorités judiciaires. En d’autres termes, la fin de l’omerta doit conduire à appliquer une tolérance zéro face à des actes de pédophilie. S’il ne sort de la rencontre que des bonnes paroles compassionnelles et des vœux pieux, elle n’aura été qu’un coup d’épée dans l’eau.

François a su, à plusieurs reprises, faire preuve de fermeté, notamment par rapport aux évêques chiliens. Il vient même d’accomplir un geste inédit dans l’histoire de l’Eglise catholique, en décidant de défroquer – c’est-à-dire de réduire à l’état laïque – l’ex-cardinal Theodore McCarrick, 88 ans, pour des motifs d’abus sexuels. C’est une façon pour le pape de signifier que de tels actes ne seront plus tolérés au sein de l’Eglise.

Pour autant, les associations de victimes ne sont pas toujours entendues. Il en est ainsi de la demande de création d’un tribunal spécial pour juger les évêques défaillants. Le pontife argentin avait donné son accord avant de faire marche arrière. Aurait-il peur d’affronter l’aile la plus conservatrice de la curie romaine, qui guette toutes les occasions de le déstabiliser ?

La réunion de Rome pourrait déboucher sur la création sur chaque continent d’une task force pour aider les conférences épiscopales à mettre sur pied une robuste politique de lutte contre tous les abus sexuels. La moitié d’entre elles ne l’ont pas fait. Ce serait un pas positif. Mais il faudra d’autres actes forts pour que l’Eglise sorte enfin du déni et brise la loi du silence.

Pédophilie dans l’Eglise : comprendre l’ampleur de la crise
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