Le parcours de la proposition de loi dite « anticasseurs » au Parlement pourrait s’arrêter dès la mi-mars, à l’issue du vote en deuxième lecture par les sénateurs. Selon nos informations, ces derniers n’excluent pas de voter le texte « conforme », c’est-à-dire dans une version identique à celle adoptée par l’Assemblée nationale, le 5 février.

Le texte serait alors adopté définitivement, sans retourner au Palais-Bourbon. « J’y suis favorable », indique au Monde le président du groupe Les Républicains (majoritaire au Sénat), Bruno Retailleau.

Pour justifier cette option, les sénateurs invoquent des questions de calendrier. « Le risque, c’est que le vote définitif n’intervienne pas avant l’été si on ne l’adopte pas aujourd’hui (dans les mêmes termes) », indique le sénateur de Vendée. Une modification du texte entraînerait en effet une navette parlementaire avec l’Assemblée nationale, avant une éventuelle commission mixte paritaire.

« Dilemme »

« Notre responsabilité, c’est de faire aboutir le texte le plus vite possible, le gouvernement a déjà beaucoup tergiversé », explique de son côté le président de la commission des lois du Sénat, Philippe Bas. Le texte – dont le Sénat est à l’origine – avait été adopté en première lecture au Palais du Luxembourg en octobre. Il avait ensuite disparu des radars avant d’être remis en avant par le premier ministre, Edouard Philippe, au début de janvier en réponse aux violences perpétrées en marge des manifestations des « gilets jaunes ».

La décision des sénateurs n’est pas encore tout à fait prise, M. Bas invoquant un « dilemme ». L’article 2, qui instaure la possibilité pour les préfets d’interdire de manifester à une personne qui constitue une « menace d’une particulière gravité pour l’ordre public », « est d’une constitutionnalité douteuse », explique-t-il. Les sénateurs doutent que cet article soit conforme à la Constitution, mais ils savent aussi que la gauche a prévu de saisir le Conseil constitutionnel sur le texte, ce qui pourrait sceller le sort de cette disposition.

Politiquement, un vote conforme des sénateurs est aussi un cadeau empoisonné pour la majorité et l’exécutif. Lors du vote à l’Assemblée nationale, au début de février, cinquante députés de La République en marche (LRM) s’étaient abstenus sur ce texte, s’inquiétant notamment des risques d’entrave à la liberté de manifester. A l’époque, ils donnaient rendez-vous au ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, en deuxième lecture (à l’Assemblée), pour trouver une nouvelle rédaction à l’article 2 notamment, avec plus de garanties pour les libertés individuelles.

Un vote conforme du Sénat les priverait de cette deuxième salve de discussions. « Les sénateurs jouent le rôle des personnes responsables afin de faciliter l’adoption d’un texte attendu dans l’opinion et mettent le bazar dans la majorité. Si j’étais eux, je ferais pareil », confiait un député LRM la semaine dernière. Les sénateurs considèrent eux qu’ils font une fleur au gouvernement en lui évitant d’avoir à faire des concessions à son aile gauche. « Le gouvernement n’a qu’une trouille, c’est de repasser à l’Assemblée », résume avec malice un sénateur.

La proposition de loi « anticasseurs » adoptée et contestée
Durée : 01:18