Tournage d’un clip appelant à des élections pacifiques, à Kano, dans le nord du Nigeria, le 18 février. / Ben Curtis / AP

Pour la deuxième semaine de suite, le Nigeria se prépare à voter. Les élections générales (présidentielle et législatives), initialement prévues pour le samedi 16 février ont été reportées au 23 février, provoquant la colère. Sur les 84 millions d’inscrits, certains avaient parcouru des milliers de kilomètres pour voter dans leur région d’origine. La commission électorale nigériane a justifié ce report par des raisons de logistique. Les deux partis principaux – le Congrès des progressistes (APC) au pouvoir, et le Parti démocratique populaire (PDP) dans l’opposition – s’accusent mutuellement de « sabotage ».

S’ils ont le choix entre 73 candidats, la bataille, très serrée, va se jouer entre l’actuel président, Muhammadu Buhari, un ex-général qui a fait partie de la junte militaire dans les années 1980, et Atiku Abubakar, un ancien vice-président et homme d’affaires influent mais réputé corrompu. A 76 et 72 ans, les deux principaux candidats, tous deux musulmans du Nord, ne reflètent en rien leur électorat. Sur ce territoire le plus peuplé d’Afrique, avec plus de 190 millions d’habitants, 60 % de la population a moins de 30 ans et la moitié des électeurs ont entre 18 et 35 ans.

« Baba go slow »

Pourtant, ce sont toujours les mêmes « dinosaures » de la politique, comme on les appelle au Nigeria, qui tiennent le pays. L’APC de M. Buhari et le PDP de M. Abubakar dominent depuis la fin du régime militaire en 1999, tandis que d’anciens dirigeants militaires cherchent en coulisse à faire triompher leur candidat, comme le « parrain » Bola Tinubu, qui a annoncé son soutien à M. Buhari. Cette sphère politique peu renouvelée est en plus accusée de s’enrichir sans construire un véritable Etat. Au point que le Nigeria est classé 144e sur 180 pays en 2018 selon l’indice de perception de la corruption de Transparency International.

M. Buhari avait juré d’éradiquer ce « cancer » lorsqu’il a été élu en 2015, mais la corruption est toujours ancrée, et le président est surtout accusé par ses détracteurs d’avoir mené une chasse aux sorcières visant l’opposition. L’euphorie suscitée par son élection est peu à peu retombée, même si sa victoire marquait la première transition démocratique de l’histoire post-coloniale, et que le Nigeria venait de passer première puissance économique du continent avec ses immenses richesses pétrolières.

Puis le pays s’est enfoncé dans la récession en 2016, laminé par la chute du prix du baril et la dévaluation du naira, autant que par les mauvais choix politiques d’un président surnommé « Baba go slow » pour sa lenteur à réagir aux crises. Pour ne rien arranger, son mandat a été ponctué de longs congés maladie au Royaume-Uni.

Même dans l’Etat de Kano, dans le nord du pays, qui avait largement contribué à son élection en 2015 et où l’actuel homme fort jouit d’un statut culte, une partie des électeurs déçus se disent prêts cette fois à voter pour son principal rival.

La menace Boko Haram

A peine moins âgé, Atiku Abubakar mise sur son image d’homme d’affaires à succès pour se présenter comme le candidat créateur d’emplois. Mais cet ancien vice-président, à la tête d’une richesse estimée à plusieurs centaines de millions de dollars, est soupçonné d’avoir abusé de ses fonctions politiques entre 1999 et 2007 pour faire prospérer ses affaires. Il a été cité dans plusieurs enquêtes aux Etats-Unis, jamais dans son propre pays.

« Voter Buhari ou Atiku, c’est choisir entre la peste et le choléra », résument les habitants à Lagos. Pour beaucoup, le principal défi est de rester en vie, tout simplement. Dans ce pays qui concentre plus de personnes extrêmement pauvres que l’Inde, les attaques contre les exploitants d’or noir se multiplient dans le sud-est, des gangs mafieux urbains continuent de semer la terreur et des groupuscules sécessionnistes tenter d’exister, alors que la ceinture centrale du pays est ravagée par des conflits intercommunautaires meurtriers.

Le plus alarmant reste la menace de Boko Haram, que Muhammadu Buhari avait déclaré « vaincu » fin 2017. Ces derniers mois, les attaques se sont multipliées, avec des dizaines de civils et des centaines de soldats tués. En 2015, c’était notamment sa promesse d’éradiquer le groupe djihadiste qui avait conquis les électeurs.