« Nous avons été suffisamment électrocutés pour approvisionner l’Egypte pendant vingt ans », « Ils m’ont laissé une nuit dans une cuve d’eau froide », « Donnez-moi un taser et je ferai avouer à quelqu’un qu’il a tué Sadate ». Ces récits terribles, ce sont ceux de trois des neuf hommes exécutés mercredi 20 février en Egypte, et qui avaient raconté leur calvaire devant le tribunal lors de leur procès en août 2016. Les vidéos de leurs témoignages ont circulé sur les réseaux sociaux après leur exécution.

Malgré l’appel lancé par Amnesty International pour empêcher leur mise à mort, les neuf membres présumés des Frères musulmans reconnus coupables d’avoir participé à l’assassinat d’Hicham Barakat, le plus haut magistrat du parquet égyptien, en 2015, ont été exécutés.

La Cour de cassation avait confirmé en novembre 2018 ces condamnations à mort pour l’assassinat du procureur général, qui avait été tué dans l’explosion d’une voiture piégée au passage de son convoi dans la capitale égyptienne. L’attaque, qui avait choqué l’Egypte, n’avait pas été revendiquée, mais la police avait par la suite annoncé avoir arrêté des membres des Frères musulmans, une organisation classée « terroriste » par Le Caire.

Ces nouvelles mises à mort portent à 15 le nombre de personnes exécutées dans le pays depuis le début de l’année, six personnes ayant été mises à mort entre le 7 et le 13 février. Un nombre « terrible » pour Bahey Eldin Hassan, directeur général de l’Institut du Caire pour l’étude des droits de l’homme. « Depuis le coup d’Etat militaire de juillet 2013, la situation se détériore à un niveau sans précédent en Egypte », affirme-t-il, qui s’inquiète également des assassinats ciblés de la part du régime.

Depuis que le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, a obtenu un deuxième mandat, en mars, le régime a intensifié ses campagnes d’intimidation, de violence et d’arrestations contre les opposants politiques et les activistes de la société civile. Le 14 février, le Parlement a avalisé à une écrasante majorité la requête de révision constitutionnelle déposée par des députés partisans zélés du président de 64 ans, pour lui offrir un pouvoir sans partage sur le pays jusqu’en 2034. Le scénario d’un règne de vie autoritaire se précise pour l’homme fort de l’armée.

Un acte « honteux »

Les organisations de défense des droits humains condamnent ces exécutions, pointant du doigt des procès entachés par des allégations de tortures. Selon Amnesty International, certains des accusés exécutés mercredi avaient déclaré lors de leur procès qu’ils avaient été « soumis à une disparition forcée » et qu’on les avait torturés afin de leur faire « avouer » leur crime. « L’Egypte a démontré un mépris total pour le droit à la vie », a indiqué Najia Bounaim, directrice du travail de campagne pour l’Afrique du Nord au sein de l’ONG.

« Les auteurs de l’attentat qui a tué l’ancien procureur égyptien méritent d’être punis, mais le fait d’exécuter des hommes condamnés sur la base d’“aveux” arrachés sous la torture n’est pas une justice, mais un témoignage de l’ampleur de l’injustice dans le pays », affirme l’organisation, dans un communiqué. Contacté par téléphone, Hussein Baoumi, responsable de campagne sur l’Egypte pour Amnesty International, dénonce pour sa part un acte « honteux » et appelle la communauté internationale à condamner publiquement ces nouvelles exécutions.

Même son de cloche pour Human Rights Watch, une ONG qui s’oppose, elle aussi, à l’application de la peine de mort. « Notre position est d’autant plus forte dans un pays comme l’Egypte où nous constatons l’absence d’indépendance judiciaire », rappelle Amr Magdi, chercheur à la division Afrique du Nord et Moyen-Orient de l’organisation. Face à l’incapacité des autorités égyptiennes « à mettre fin aux actes de torture et aux mauvais traitements dans les lieux de détention – ou à enquêter de manière impartiale sur ces abus », HRW a d’ailleurs récemment appelé les Nations unies à mener une enquête internationale indépendante.

200 personnes exécutées depuis 2014

L’utilisation croissante de la peine de mort par le gouvernement est également mise en avant par les organisations, environ 200 personnes ayant été exécutées depuis 2014, selon les estimations de HRW. « Il est très difficile de connaître le nombre d’individus exécutés car les autorités ne révèlent aucun chiffre », précise toutefois Amr Magdi.

Toujours selon HRW, pour la seule année 2018, les tribunaux égyptiens ont condamné des centaines de personnes à la peine capitale, lors de « procès de grande ampleur présentant des vices de forme, dans des affaires de violence politique et de liens au terrorisme présumés ». Ainsi, Amr Magdi affirme que l’Egypte fait partie des « dix pires pays du monde » en termes d’exécutions et de condamnations à la peine capitale depuis 2015, un fait « sans précédent » dans l’histoire du pays.

Dans son rapport mondial 2019, HRW déclare que les autorités égyptiennes se sont servies de plus en plus souvent du prétexte de lutte contre le terrorisme et des lois sur l’état d’urgence pour réprimer la « dissidence pacifique ». Opposants politiques arrêtés, exactions commises par les forces de sécurité, liberté d’expression bafouée, torture, arrestations arbitraires… « La situation des droits humains en Egypte continue de se détériorer sur de nombreux aspects », affirme Hussein Baoumi d’Amnesty International. Les défenseurs des droits de l’homme sont unanimes : l’Egypte fait face à la « pire crise des droits humains depuis des décennies ».