Julien Denormandie, ministre de la cohésion des territoires, jeudi 21 février, au Club de l’économie du « Monde », à Paris. / CAMILLE MILLERAND

Julien Denormandie, ministre de la cohésion des territoires, revient sur la crise des « gilets jaunes » et sur les priorités en matière de politique du logement.

Comment analysez-vous le mouvement des « gilets jaunes » ?

On avait ressenti de la colère pendant la campagne présidentielle. Je dirais même plus : c’est cette colère qui a fait qu’Emmanuel Macron a été élu, mais on n’a pas su y apporter de réponses suffisamment fortes au cours des deux premières années du quinquennat. Cette colère est le fait d’une partie de nos concitoyens, qui ne se sentent plus du tout maîtres de leur destin, contrairement à la promesse républicaine. Cela nous oblige à améliorer l’efficacité de nos politiques publiques. Quand, aux premiers jours du mouvement, le premier ministre [Edouard Philippe] a annoncé le renforcement du chèque énergie, qui devait potentiellement concerner 5 millions de personnes, on s’est rendu compte qu’une personne éligible sur six n’y avait pas accès, parce que c’était trop compliqué ou que l’information manquait. La notion d’accès doit être au cœur de notre action.

Comment ressentez-vous le climat politique ?

Je participais, il y a quelques jours, au Débathon, sur la plate-forme [de streaming] Twitch. L’une des personnes sort la « une » d’un journal et déclare : « Vous voyez, les politiques, vous êtes tous pourris. » Cela interpelle. J’ai 38 ans, je suis ingénieur de formation, je n’étais pas encarté dans un parti quand j’ai décidé de m’engager en politique. Je l’ai fait, car je croyais dans un homme et dans un projet, et me voilà taxé de « politicien » parce que je suis ministre ! Alors j’ai envie de répondre : « Tous pourris ? c’est facile comme critique, mais, chiche, engagez-vous ! Faites-le. » Ce que traverse le pays est un moment de profonde gravité : il y a ce mouvement de colère intime, qui se matérialise par les « gilets jaunes ». Il y a cette montée des actes antisémites, absolument odieux. Il y a cette exacerbation des oppositions des uns vis-à-vis des autres. La cohésion de la nation est interrogée. Personne ne peut l’accepter. Ce moment de gravité ne concerne pas que les responsables politiques, il nous concerne tous en tant que nation, en tant que société. Tous, dans nos fonctions, avons une responsabilité, qu’on soit journaliste, chef d’entreprise, cadre, salarié, entrepreneur ou politique…

Que dites-vous aux chefs d’entreprise ?

Qu’ils doivent intensifier l’effort en direction des quartiers. Un jeune sur six y vit. Ce sont des enfants de la République. Ils demandent d’abord d’avoir un job, mais sont discriminés parce qu’ils n’ont pas de réseau en dehors du quartier. La priorité est là : les aider à en constituer un. Cela nécessite que les entreprises sortent de leur zone de confort. J’ai entendu des dizaines de mamans des quartiers me dire : « C’est génial votre politique de stage de 3e, mais ce n’est pas pour nous. Nos enfants appellent cela “le stage kebab”. »

Que faut-il accélérer dans la politique du logement ?

Le logement est une dépense qui peut représenter jusqu’à la moitié du budget mensuel. Pourtant, la thématique revient peu dans le grand débat national. La contrainte a été en quelque sorte intégrée, si bien que la demande porte sur la mobilité entre le logement et le travail. Pourtant, il manque énormément de logements dans notre pays. On en construit aujourd’hui à peu près autant qu’au début des années 1980, alors qu’on compte 13 millions de Français en plus, et surtout beaucoup de familles qui divorcent. Donc, évidemment, il faut accélérer d’abord en levant l’inquiétude des acteurs, notamment dans le domaine du logement social. Ensuite, en renforçant la visibilité sur les aides. Je les ai modifiées en 2017, avec l’engagement de ne plus y toucher ensuite. Dernière remarque : on parle beaucoup de la construction neuve, ce qui est essentiel, mais un peu moins de la rénovation, qui est un enjeu majeur. J’ai beaucoup travaillé sur cette tragédie à Marseille, où huit personnes sont mortes [dans l’effondrement de deux immeubles, en novembre 2018], mais le logement dit « insalubre », affecte aussi le cœur de villes de taille moyenne, qui se désertifient. Nous avons adopté un nouveau dispositif, qui permet de faire de l’investissement locatif dans l’ancien dans ces villes. Ce sera un élément d’accélération de notre politique du logement.

Comment faire une politique du logement adaptée à chaque cas particulier ?

Vous touchez du doigt l’un des points les plus difficiles. Quand vous êtes ministre du logement, vous avez sur votre bureau une carte avec une France découpée en six zones. On essaie de sortir petit à petit de ce zonage, pour mener des politiques beaucoup plus territorialisées, en lien avec les acteurs locaux. Ce sera le cas pour le dispositif fiscal visant l’investissement locatif dans l’ancien.

Comment encourager la construction ?

Je lutte contre les recours abusifs, car il existe des petits professionnels du recours abusif, qui récupèrent une petite enveloppe sous le manteau en agissant ainsi. Et puis, il y a la question récurrente des normes. Mais, lorsque vous creusez le sujet, vous vous rendez compte que c’est le code de la construction qui fait problème. Il ne se contente pas de donner les objectifs, il vous dit comment les atteindre. Il est aujourd’hui plus épais que le code civil. C’est la raison pour laquelle nous sommes en train de le réécrire.