Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, jeudi 21 février, au Club de l’économie du « Monde », à Paris. / CAMILLE MILLERAND

Pour le patron du Medef, les partenaires sociaux n’ont plus la main pour gérer l’indemnisation des chômeurs. Il s’inquiète également du risque que font peser les inégalités sur les démocraties occidentales.

  • L’Etat et l’assurance-chômage

Depuis une dizaine d’années, le régime d’assurance-chômage n’est plus un régime d’assurance au sens propre du terme.

D’abord, l’Etat a imposé sa garantie. Il a accumulé 35 milliards d’euros de dette et entre 3 milliards et 4 milliards de déficit par an en se sachant protégé par ce filet de sécurité collective.

Ensuite, il y a dix ans, en 2009, à l’occasion du rapprochement ANPE-Unédic, l’Etat a mis en place un impôt qui prélève 10 % des recettes de l’Unédic pour financer le service public de l’emploi. Puis, le nouveau pouvoir issu de l’élection d’Emmanuel Macron a supprimé la cotisation « salarié ». C’est la CSG qui l’a remplacé.

Enfin, en juillet 2018, nous recevons une demande de négociation assortie d’une lettre de cadrage, qui nous dit très précisément là où nous devons aller : il faut faire 1 milliard d’économies et lutter contre l’augmentation des contrats courts. Avec les ingérences de l’Etat, c’est devenu quasiment impossible de négocier. L’Etat a pris le contrôle de l’assurance-chômage.

  • Les contrats courts sont indispensables

Deux philosophies s’opposent. Du point de vue des syndicats, les contrats extrêmement courts, qui ont augmenté ces dix dernières années, posent un problème aux salariés qui ne peuvent pas se projeter en termes de vie personnelle. Il faut pénaliser les entreprises qui pourraient embaucher en CDI ou en contrat plus long, mais qui ne le font pas. Donc, on taxe. Je signale, au passage, qu’entre 2014 et 2017, les contrats de moins d’un mois étaient frappés d’une taxe de 3 %. Cela n’a eu aucun effet. La mesure a été supprimée d’un commun accord.

Notre philosophie à nous est de dire que, partout dans le monde, le comportement des consommateurs tend à rendre la prévisibilité de l’économie beaucoup plus faible. C’est le syndrome « Black Friday ». Les mêmes salariés, qui sont en contrat précaire, veulent commander, en tant que consommateurs, au dernier moment, une énorme quantité de produits. Derrière, l’économie suit. Comment s’adapter à ce changement de paradigme ? Ce n’est pas en punissant les entreprises. C’est en s’occupant des salariés. Nous avons proposé une première série de mesures autour d’une compensation financière de cette précarité.

L’idée que c’est par l’assurance-chômage qu’on changera la nature des contrats de travail et de l’économie, est une erreur. Les contrats très courts sont concentrés sur six ou sept secteurs. Donc, c’est bien une contrainte économique. Ce n’est pas un choix de tout le patronat. Si on taxait à 10 %, à 15 %, à 20 %, on irait sur d’autres formes de contrat de travail : régime d’autoentrepreneur, de travailleur détaché ou, dans certains métiers, du travail au noir.

  • Le patronat et Macron

Ce gouvernement a fait pas mal de choses pour le pays, pas forcément pour les entreprises. Il a fait beaucoup pour les entrepreneurs, notamment sur la fiscalité du capital. Au niveau du compte d’exploitation de l’entreprise, c’est François Hollande, dans la seconde partie du quinquennat, qui a infléchi la politique fiscale française depuis trente ans, en baissant les charges sur les entreprises avec le pacte de responsabilité. Nous souhaitons qu’Emmanuel Macron aille de l’avant. Je pense qu’il a vécu sous le quinquennat précédent le fait qu’une forme d’immobilisme conduise à une impasse politique.

  • L’ISF et la fiscalité

La création de l’impôt sur les grandes fortunes, en 1981, a mis quarante ans à faire fuir plusieurs dizaines de milliards d’euros d’actifs taxables en France, à détruire les entreprises de taille intermédiaire familiales et à créer d’énormes dégâts de compétitivité de l’économie. On confond morale et efficacité. L’objectif de la fiscalité, ce n’est pas de faire payer ceux qui ont plus d’argent pour se faire plaisir. La fiscalité du capital a été massivement baissée par le président Macron, mais pour la mettre dans la moyenne européenne. La fiscalité du capital va rapporter 1 milliard d’euros de plus que ce qu’avait prévu Bercy. Pourquoi ? Parce que, quand vous baissez les taux des impôts, brusquement, l’assiette grandit. C’est le miracle de la fiscalité. Cela, Bercy ne le comprend pas. Il n’y a qu’un fonctionnaire des impôts pour croire que la base fiscale est stable.

Après, il y a la morale et, effectivement, le symbole, qui n’est pas compris. Dans une France qui est extrêmement pessimiste, qui est défiante, qui n’a pas un récit de l’avenir positif, certains se disent « on va tous en baver, que les autres souffrent autant que moi ». C’est pour cela qu’on s’en prend aux élus et aux riches. L’explication est plus sociologique que rationnelle.

  • Les inégalités

Les inégalités de revenus et de patrimoine ont progressé dans toutes les démocraties occidentales, sauf en France. La croissance des trente dernières années a enrichi formidablement les 60 % des gens les plus pauvres dans le monde, notamment dans les pays émergents. Allez expliquer à un Thaïlandais ou à un Kényan aujourd’hui que le capitalisme ne fonctionne pas. Il va vous rire au nez, parce que lui vit beaucoup mieux qu’il y a vingt ans. Ses enfants vivent beaucoup mieux. Eux sont complètement convaincus que l’économie de marché fonctionne.

En revanche, les classes moyennes des démocraties occidentales ont vu leurs revenus stagner. Le 1 % le plus riche de la planète, lui, s’est enrichi. Pourquoi ? Parce que l’économie de la connaissance, l’économie technologique, crée des opportunités pour une « super classe mondiale » qui peut profiter de ces opportunités au niveau planétaire. Cela pose le problème d’une forme de sécession entre une super classe de gens qui ont le bagage technologique, culturel, intellectuel pour se mouvoir dans ce monde et la classe moyenne des démocraties, qui, elle, ne l’a pas. Nous devons nous poser la question de cette mondialisation inclusive, car nous avons besoin du consensus démocratique pour développer nos affaires. La croissance des deux cents dernières années s’est aussi accompagnée de l’Etat de droit et de la démocratie. Du jour au lendemain, un Etat ne peut pas spolier une entreprise, changer les règles, nationaliser, etc. Il s’agit de savoir comment éviter cette fracture de la société.