A Monastir, le 7 février. / Nicolas Fauqué POUR "LE MONDE"

Les joueurs de tennis n’ont pas attendu le scandale de la Ligue du LOL pour découvrir le harcèlement en ligne. Les insultes qui les visent sont quotidiennes et viennent d’un public très identifié : les parieurs. « Mec, arrête de jouer au tennis, t’es tellement lamentable, tu ferais mieux de te mettre aux échecs, même les gamins jouent mieux que toi. » Voilà pour la version polie. Souvent, la teneur est plus crue : « Putain d’idiot stupide, on va te briser les os, toute ta famille va crever. » Portable en main, Corentin Denolly fait défiler les derniers messages – tous en anglais – reçus sur son compte Facebook, où des inconnus peuvent vous contacter en passant par des invitations à communiquer.

Avec l’essor des paris sportifs et des réseaux sociaux, joueuses et joueurs de tennis sont devenus les souffre-douleur de bourreaux sans visage. Quand ce ne sont pas des menaces envoyées sur Facebook ou Twitter, les parieurs compulsifs commentent leurs photos Instagram. « Les insultes, ça devient une routine, c’est à tous les tournois, assure Louis Tessa. Ce sont toujours les mêmes messages : “J’espère que tu vas crever d’un cancer”, “Je vais venir te péter le bras, je connais ton adresse”, etc. Ça a dû m’arriver une fois de répondre, mais sinon je ne prends même pas la peine de les lire. »

« On perdrait trop d’influx à les lire et à répondre à chacun », complète Gabriel Petit. Marie Temin et Vinciane Rémy ont elles aussi fini par se convaincre que dénoncer leurs auteurs était peine perdue. Selon elles, le phénomène a débuté il y a « trois ou quatre ans ». « Ce sont des menaces de mort. Et, quand on les bloque, ils réapparaissent sous un autre compte avec la même photo. C’est permanent, insiste Marie Temin. Au début ça fait peur, maintenant, limite on les attend après nos matchs. Aujourd’hui, j’ai perdu. Je m’attendais à en recevoir un et finalement j’ai eu un “I love you” : il était content car il avait gagné son pari… »

« Entre nous, on en rigole : alors toi, t’as reçu quoi ? »

Corentin Denolly n’a pas cessé d’utiliser les réseaux sociaux et préfère tourner en dérision ce flot de menaces : « Après les matchs, on va regarder à chaque fois et on en rigole entre nous : “alors, toi, t’as reçu quoi ?” »

Le fléau n’épargne pas les joueuses et joueurs du circuit principal. « L’ATP prend ces problèmes [de harcèlement en ligne] très au sérieux », assure Simon Higson, porte-parole de l’instance, qui précise qu’un partenariat a été signé en 2018 avec une société d’évaluation et de gestion des risques, pour apporter un soutien aux joueurs. « Malheureusement, le phénomène n’est pas près de s’arrêter et il est important que nos joueurs sachent de quelle manière y répondre et quelles actions ils sont incités à entreprendre. »

« La question des insultes sur les réseaux sociaux nous préoccupe, de même que le bien-être des joueurs en général, répond de son côté la FIT. Nous avons un programme de protection des joueurs qui leur vient en aide dans plusieurs domaines. Nous sommes aussi en train d’envisager l’introduction d’une plate-forme sur laquelle les joueurs, les coachs et les personnels pourraient rapporter aux autorités des cas de cyberharcèlement. »

Des propositions adressées au ministère

La Fédération française de tennis a adressé, le 30 janvier, une lettre à la ministre des sports, Roxana Maracineanu, préconisant d’« interdire, pour les tournois se déroulant en France, la transmission en direct du score à titre gratuit ou onéreux à des opérateurs de paris sportifs, et de renforcer le dispositif pénal à l’encontre des “court-siders” », fait savoir Jean-François Vilotte, son directeur général. Il précise en outre qu’un contrat sera signé dans les prochaines semaines avec une plate-forme spécialisée dans le cyber-harcèlement pour assister les joueurs sur le plan psychologique et juridique.