Marine Le Pen et Jordan Bardella ont visité une ferme, située en Haute-Marne, samedi 23 février. / Lucie Soullier pour "Le Monde"

« Oh ce qu’il est mignon. » Un cochon dans les bras, Marine Le Pen ne boude pas le plaisir d’adresser un nouveau « clin d’œil » à Emmanuel Macron. Alors que le chef de l’Etat inaugurait le salon de l’agriculture à Paris, samedi 23 février, la présidente du Rassemblement national (RN) a opportunément choisi de visiter une ferme en Haute-Marne. Et d’y cultiver son immuable effet miroir avec le pouvoir, à moins de 100 jours du scrutin européen.

« Localisme, bien-être animal… Ici, c’est un symbole de ce que nous avons envie de faire. L’inverse des accords de libre-échange et de ce qui a été choisi par nos dirigeants. »

Entre une caresse à l’une des 32 truies de cet élevage en plein air et quelques politesses à Nestor, l’un des trois mâles reproducteurs, Marine Le Pen tient à faire passer un message : Emmanuel Macron est entré sur son terrain. Et quoi de mieux qu’une petite visite guidée pour montrer qu’elle est accueillie ici comme chez elle, dans ce monde agricole de la Haute-Marne, au moment même où le chef de l’Etat « prend les agriculteurs pour des arriérés », selon les termes de son communiqué, diffusé à peine le discours du président de la République terminé.

« France des oubliés »

C’est donc accompagnée du maire - éleveur de Maizières-les-Joinville, qu’elle se promène en terre promise. Dans ce hameau de 200 habitants, la candidate d’extrême droite a culminé à 78 % au second tour de la présidentielle. Près d’un électeur sur deux avait voté pour elle dans le département, berceau frontiste et symbole de cette « France des oubliés », agricole et mal lotie en services publics, sur laquelle Marine Le Pen a construit son image politique.

C’est d’ailleurs à moins de 20 kilomètres de là, dans le petit bourg de Brachay, qu’elle a organisé sa rentrée politique durant plusieurs années, avant que le maire ne rejoigne le mouvement de Florian Philippot, son ancien-bras droit déchu après l’échec présidentiel.

Le maire - éleveur de Maizières-les-Joinville, lui, n’a jamais été si convaincu par Marine Le Pen. Au milieu des derniers nés de sa « Cochon’ail », il lui raconte les années difficiles, quand le prix du cochon est tombé à 5 Francs le kilo et que les suicides se sont multipliés dans la filière. « En silence. Personne n’osait en parler dans les années 2000. » Pascal Desanlis s’en est sorti, et n’est pas peu fier de dérouler les détails de sa success story aux côtés de la cheffe de file de l’extrême droite française.

Face à face

Alors qu’Emmanuel Macron inaugurait le Salon de l’agriculture à Paris, Marine Le Pen a souhaité se rendre en Haute-Marne. / Lucie Soullier pour "Le Monde"

Jordan Bardella suit en acquiesçant, un tantinet mal à l’aise derrière sa patronne intarissable de questions sur la gestation des cochons. Le jeune lieutenant de 23 ans a beau avoir été intronisé tête de liste du RN aux européennes, c’est bien elle, le vrai visage de la campagne RN. Son nom figurera d’ailleurs en fond de la liste, pour que le sceau « Le Pen » puisse y être apposé. Et qu’elle puisse continuer à jouer le face à face direct avec le chef de l’Etat.

Jordan Bardella ne se prive pas, lui non plus, de mettre en scène cette opposition frontale avec Emmanuel Macron. « Vous voyez ce que fait Macron depuis le début de son quinquennat ? Et bien nous ferions exactement l’inverse », lance-t-il aux près de 300 personnes qui remplissent la salle du meeting organisé dans l’après-midi, dans un autre village de la vallée de la Marne.

Dans un tweet, Jordan Bardella ajoute qu’il laisse le soin à Emmanuel Macron de jouer son « numéro » à Paris, lui « préfère » passer la journée avec Marine Le Pen dans « le plus grand et beau salon de l’agriculture du monde : la France ». La tête de liste et sa patronne ne manqueront toutefois pas le rendez-vous parisien. Marine Le Pen passera même une bonne partie de la journée dans les allées du salon, jeudi prochain. Car « le compte à rebours est lancé », prévient-elle.

Et il ne s’agirait pas de perdre les électeurs déjà apprivoisés. « Chaque abstentionniste doit être conscient qu’il donne une demi-voix à Macron, et qu’il perd le droit de s’insurger », lance-t-elle à ses troupes pour conclure la journée, en ne manquant pas de les remobiliser sur leur slogan préféré : « Nous voulons continuer à nous sentir Français chez nous ». La salle répond à l’unisson à son appel. « On est chez nous, on est chez nous. » Autant de bulletins sauvés.