La limace à triangle rouge. / Vicki Elliott/Australian museum

Zoologie. Qui n’a pas rencontré le mucus de la limace ? Qui n’a pas été saisi d’un haut-le-cœur en marchant dans cet amas visqueux ou en le touchant par accident ? Les enfants crient, les adultes frissonnent, les chiens aboient. Il faut être malacologue, le doux nom donné aux spécialistes des mollusques, pour rester de marbre, les mains dans la gluante sécrétion.

Doctorant à l’université de Newcastle, en Australie, John Gould ne fait pas partie de cette petite communauté. Ses bestioles de prédilection seraient plutôt les amphibiens, plus particulièrement les « grenouilles papier de verre » (Lechriodus fletcheri), ainsi nommées en référence à la texture de leur dos brun. Il y consacre même sa thèse. Et c’est en pistant l’une d’elles, à la fin d’une nuit pluvieuse, dans une forêt de Nouvelle-Galles du Sud, que le jeune naturaliste est tombé en arrêt devant une drôle de scène. « Il y avait une grenouille verte immobile. J’ai d’abord pensé qu’elle était coincée entre deux branches d’eucalyptus, avant de découvrir qu’elle était en réalité collée. Je n’avais jamais vu ça. Inexplicable. C’est en prenant une photo que j’ai vu la limace, juste à côté… J’ai tout de suite fait le lien. »

Pas évident pourtant. Car, chez ces mollusques, le mucus sert à bien d’autres choses : à faciliter les déplacements, à réguler l’humidité corporelle ou encore à soutenir leurs interminables et spectaculaires accouplements. La substance gluante devient bien parfois une arme défensive contre certains carabes, mais elle vient alors encombrer les mandibules du coléoptère. Pas l’immobiliser.

Ici, la grenouille découverte apparaissait pieds et poings liés, si l’on peut dire. « Les pattes avant étaient collées ensemble, le corps et les pattes arrière étaient fixés à l’eucalyptus, décrit John Gould. Pour la rapporter, nous avons découpé la branche. »

En Australie, une grenouille verte immobilisée devant une limace à triangle rouge. / John Gould

De retour au laboratoire avec quelques spécimens de limaces à triangle rouge (Triboniophorus graeffei) dans sa besace, l’étudiant a d’abord ouvert les livres et constaté que certaines salamandres, les concombres de mer et… deux autres espèces de limaces produisaient pareil mucus collant pour se défendre. Il s’est ensuite occupé de la malheureuse victime, qui, vingt-quatre heures plus tard, restait désespérément prisonnière, en retirant la surface de l’écorce. Enfin, il a gratté les limaces rapportées et découvert que leur toucher le dos déclenchait immédiatement la production de gouttelettes d’un liquide d’abord visqueux, puis rapidement très adhésif : le fameux mucus collant.

S’il s’avoue impressionné par l’observation, publiée sur le site de preprint bioRxiv, Xavier Cucherat, malacologue indépendant et fondateur du bureau d’étude Arion.idé, regrette l’absence de tests en laboratoire mettant aux prises limaces et batraciens. « Peut-être que la grenouille n’était pas prédatrice, elle passait juste au mauvais endroit au mauvais moment, imagine-t-il. Les ennemis des limaces, ce sont plutôt les oiseaux nocturnes, les hérissons et les coléoptères, rarement les grenouilles. » « Sauf ici, réplique John Gould. Chez nous, elles mangent tout. Alors, certes, nous n’avons pas la preuve que cette première observation, à l’état naturel, d’un animal pris au piège du mucus d’une limace est bien le résultat d’une interaction proie/prédateur. Mais c’est plus que probable. »

Pattes avant, pattes arrière, corps : la grenouille a été collée à la branche d’eucalyptus. / John Gould

Le jeune biologiste n’en a pas fini avec les limaces. L’appétit venant en mangeant, il rêve désormais de décrypter les mécanismes de sécrétion du mucus, et de comprendre l’origine de ses propriétés adhésives. L’enjeu est scientifique, mais aussi industriel. John Gould a en effet observé que le mucus perdait son pouvoir adhésif à l’air libre au bout de quarante-huit heures, et qu’il le retrouvait au seul contact de l’eau. « Une colle conservée au sec et réactivée dans un milieu liquide, c’est exactement ce que la chirurgie recherche », résume-t-il. Bientôt de la bave de limace dans le corps ? Les enfants vont adorer.