L’assistance était nombreuse, ce 21 février, au CIVA, à Bruxelles, pour assister à la conférence donnée par le paysagiste et écrivain Gilles Clément. Situé dans le quartier populaire d’Ixelles, non loin de la prestigieuse avenue Louise, le Centre international pour la ville, l’architecture et le paysage (dont le sigle s’écrit... CI.II.III.IV.A) accueille dans ses locaux des expositions ou des conférences. C’est dans le cadre de l’exposition « Designed Landscapes - Brussels 1775-2020 », qui s’y tient jusqu’au 31 mars 2019, qu’il a invité l’auteur du Jardin en mouvement à s’y exprimer sur « La Forme et le vivant ».

La réputation de celui qui se veut avant tout « jardinier » est solidement établie outre-Quiévrain. Et il n’a eu aucun mal à tenir sous le charme son auditoire bruxellois en évoquant le « premier jardin » – cet enclos originel qu’ont recréé les Pygmées, sédentarisés –, le jardin persan, dans lequel l’eau est le trésor, ou la construction de l’espace dans le domaine de Louis XIV à Marly. « Jardin de pouvoir », donc, à l’opposé de sa propre démarche, qui consiste, pour ses commandes publiques comme dans sa Vallée aux papillons de la Creuse, à observer et à laisser faire, en partie, la nature. A commencer par une certaine... taupe, « Raoul », dont les monticules fertiles peuvent faire germer des plantes aussi imprévues que spectaculaires.

La forêt sauvage de l’île Derborence, dans le parc Henri-Matisse, à Lille. / VELVET / WIKIMEDIA COMMONS

Avant de décrire certaines de ses réalisations, proches de la Belgique, comme l’île Derborence, forêt sauvage dans le parc Henri-Matisse, à Lille, ou les jardins de l’abbaye de Valloires, dans la Somme, où il a conçu un hommage au naturaliste Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829), Gilles Clément a évoqué le brassage planétaire – celui des plantes et des animaux. Non sans une certaine véhémence, tempérée d’humour, bien sûr, à l’égard du « discours énervé de ceux qui disent : “Cette plante ne doit pas être là parce qu’elle est exogène” ». Et de rappeler que « le mécanisme du brassage planétaire n’a jamais cessé d’exister (avec les nuages, avec les courants marins, avec les oiseaux, qui transportent tout), l’homme [n’ayant] fait que l’accélérer ».

Le « jardin en mouvement » de Gilles Clément, dans la Cité modèle du Foyer laekenois, à Bruxelles. / COLOCO / BENOIT LORENT

Egalement présentée dans la partie contemporaine de l’exposition du CIVA, une réalisation bruxelloise déjà ancienne de Gilles Clément, menée avec les paysagistes de l’agence Coloco : les jardins de la « Cité modèle » du Foyer laekenois, qui gère un important parc locatif. Sise près de l’ex-stade du Heysel, la cité, inspirée de l’architecture de Le Corbusier, s’était passablement dégradée, avant qu’un important programme de rénovation ne soit entrepris. L’aménagement des jardins a été conçu sur un vaste talus délaissé en contrebas de l’actuel centre culturel. Au printemps, boules de buis (hélas malmenés par la pyrale), graminées, plantes et arbustes, qui nécessitent un entretien minimal, donnent une impression de légèreté, propice à la circulation et au... mouvement.

Vue du parc de la Senne, dans le quartier Masui, à Bruxelles. / LA COMPAGNIE DU PAYSAGE / CAROLINA SAMBORSKA

Un autre projet bruxellois en cours de réalisation (mais sans le concours de Gilles Clément celui-là...) mérite d’être signalé : celui du parc de la Senne, qui occupe dans le nord de la cité le tracé d’une ancienne rivière, aujourd’hui en partie voûtée, qui rappelle à bien des égards la Bièvre parisienne. Conçu par l’agence La Compagnie du paysage, ce nouveau « parc » se présente comme une longue promenade végétale et arborée répondant aux besoins d’un quartier densément habité. Les matériaux utilisés, le mobilier en bois, les plantations ornementales et les végétaux hôtes pour les insectes ou les oiseaux donnent, toutes proportions gardées, à cette incontestable réussite paysagère un petit air de High Line new-yorkaise...

Vue de l’ancien Musée royal de l’Afrique de l’Ouest, rebaptisé aujourd’hui AfricaMuseum, dans le parc de Tervuren, près de Bruxelles. / L. JEDWAB / « LE MONDE »

Situé à l’extérieur de la capitale, un autre jardin, historique celui-là, le parc de Tervuren, fait face à l’ancien (et très colonial) Musée royal de l’Afrique centrale, rebaptisé AfricaMuseum à l’occasion de sa réouverture au public, en décembre 2018. Représentatif des aménagements urbains du tournant du XXe siècle voulus par le roi Léopold II – et peut-être d’une certaine « illusion de la maîtrise », dirait Gilles Clément –, ce parc couvre plus de 200 hectares. Un jardin néoclassique, avec ses topiaires d’if ou de buis et ses bassins réguliers, sert d’écrin à l’imposant « petit Versailles » royal. Au-delà, de grands espaces boisés traversés par des allées cavalières en étoile sont entourés par une succession d’étangs et de canaux aux rives arborées, propices à la promenade ou à la randonnée.

Remise du prix littéraire francophone René Pechère

Le prolifique paysagiste qui a dessiné la physionomie verdoyante « moderne » de Bruxelles, René Pechère (1908-2002), a légué sa bibliothèque au CIVA, complétée par de nombreux ouvrages consacrés à l’art des jardins et à l’architecture du paysage. Le prix littéraire portant son nom a été attribué en décembre 2018. Il s’est agi, pour le jury (qui remet le prix francophone tous les deux ans), de récompenser un ouvrage qui s’est particulièrement distingué sur les sujets du jardin et du paysage. Cette année, ce sont deux lauréats qui ont été primés : Michael Jakob, pour l’ouvrage collectif Des livres et des jardins, et Bruno Sirven, pour Le Génie de l’arbre. Le jury a également tenu à saluer le travail de l’écrivain Marco Martella, qui édite la poétique revue Jardins.