Donald Tusk, président du Conseil européen, Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, et le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, lundi 25 février 2019, à Charm el-Cheikh. / MOHAMED EL-SHAHED / AFP

Ce devait être le sommet du « nouveau départ », du rapprochement, d’une coopération relancée face aux défis communs. Qualifiée d’« historique » par les uns, d’« exceptionnelle » par les autres, la première réunion entre l’Union européenne et la Ligue arabe, dimanche 24 et lundi 25 février, à Charm El-Cheikh, a toutefois buté, comme on pouvait s’y attendre, sur la question du respect des droits de l’homme.

Donald Tusk, président du Conseil européen, et Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, ont, lors de la conférence de presse finale, mentionné rapidement ce thème au travers de l’énumération d’une série de priorités (le développement du commerce, la sécurité énergétique, les échanges technologiques, le réchauffement climatique, les conflits au Moyen-Orient…).

A la question d’un journaliste allemand sur le contenu exact des discussions sur les droits humains, la situation en Egypte et le soutien que les Européens pouvaient apporter aux sociétés civiles arabes, le secrétaire général de la Ligue arabe, Ahmed Aboul Gheit, s’est empressé d’objecter que « personne n’a manifesté une insatisfaction à propos d’un pays ou d’un autre ».

Propos corrigé par M. Juncker : « Nous avons parlé des droits de l’homme et d’une série de sujets qui y sont liés, lors de réunions bilatérales aussi ». Et, plus mollement, par M. Tusk : « Notre engagement sur le respect des droits humains est commun ; le dialogue vaut toujours mieux que la confrontation ». A noter que M. Aboul Gheit avait indiqué auparavant que si les débats s’étaient déroulés à huis clos, c’était à la demande de l’UE.

« Nous avons notre propre sens de l’humanité »

Le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, a, dans une longue digression, invité quant à lui les Européens à ne pas faire la leçon aux pays arabes. L’Europe, surtout soucieuse de prospérité et de bien-être, ne comprend pas les préoccupations de beaucoup de ceux-ci, qui doivent surtout prévenir des conflits qui les déchirent et faire face au terrorisme, a-t-il également indiqué. « Nous avons notre propre sens de l’humanité, des valeurs et de l’éthique, vous avez vos propres idées et nous les respectons. Respectez les nôtres, comme nous le faisons. »

Le président a aussi défendu le recours à la peine de mort – appliquée quinze fois depuis le début de l’année dans son pays –, indiquant qu’il ne lui viendrait pas à l’idée de demander son rétablissement en Europe. En clair : celle-ci devrait s’abstenir d’évoquer ce sujet en Egypte et ailleurs.

La salle, composée majoritairement de journalistes égyptiens, a applaudi, ce qui est très inhabituel dans une réunion de ce type. De quoi déclencher une expression étonnée de M. Tusk qui, avec un sens douteux de l’ironie, déclarait : « J’apprécie l’enthousiasme de vos médias, il est impossible de déclencher une telle réaction en Europe, félicitations. »

« Mains étrangères »

Ce final assez tendu aura masqué le but initial d’une réunion désormais promise à d’autres éditions – dont la prochaine, à Bruxelles, en 2022. Les dirigeants des deux ensembles entendaient évidemment évoquer les conflits au Moyen-Orient, à savoir, selon la chancelière allemande Angela Merkel, la Syrie, la Libye, l’Iran et le Yémen. Sans oublier la lutte contre le terrorisme islamiste.

Du côté arabe, on a surtout dénoncé les « mains étrangères » – à savoir l’Iran et la Turquie – qui pollueraient ces conflits, et avancé que c’est la cause palestinienne qui devait, avant tout, retenir l’attention. Les Européens répondant que la solution des deux Etats restait leur priorité et qu’ils consacraient 3,52 milliards d’euros pour le soutien à l’Autorité palestinienne.

En définitive, la migration, qui devait être le thème principal de la réunion quand elle fut conçue – à l’automne dernier – n’aura été que très brièvement évoquée, avec l’affirmation d’une nécessité de régler ses « causes profondes ». A la fin de l’année dernière, les dirigeants européens avaient envisagé la création, en Egypte notamment, de « plates-formes de débarquement » pour les migrants africains désireux de gagner l’Europe.

Ils s’étaient attiré des réponses cinglantes de la part de l’Union africaine, comme le confirme un long texte élaboré à la fin de 2018 et dont Le Monde a pris connaissance. Le projet de l’UE y était décrit comme contraire aux lois internationales, comme un prélude à l’établissement de « centres de détention » et comme une violation de la souveraineté des Etats africains. Autant dire qu’il ne verra jamais le jour.