Le pape François en train de prier, au cours de la quatrième et dernière journée du sommet mondial pour lutter contre la pédophilie dans l’Eglise catholique, le 24 février 2019. / AFP PHOTO / VATICAN MEDIA

A l’issue d’un important sommet destiné à responsabiliser les évêques de la planète, le pape a promis, dimanche 24 février, « une lutte à tous les niveaux » contre les agressions sexuelles et les viols sur mineurs, qui ne « [doivent] plus jamais être couvert[s], comme ce fut le cas par le passé, et sous-évalué[s] ».

François s’est engagé à « donner des directives uniformes pour l’Eglise », mais sans se soumettre à « la pression médiatique », évoquant avant tout des normes déjà en vigueur au niveau international et au niveau ecclésiastique. Un discours très attendu mais qui peine à convaincre les victimes.

« Le pape est responsable »

Interrogé par Le Monde, François Devaux, cofondateur de l’association de victimes La Parole libérée, regrette que ce sommet n’ait pas pris « les décisions qui s’imposent », notamment en n’écartant pas un certain nombre de hauts responsables du Vatican impliqués dans les scandales en France et à l’étranger. Et de citer une longue liste de noms, à commencer par le cardinal Philippe Barbarin, accusé d’inaction face aux agressions sexuelles et viols perpétrés par l’un des prêtes de son diocèse ; le père Preynat – dont l’affaire qui est à l’origine de la création de l’association La Parole libérée ; mais aussi le cardinal George Pell, le numéro trois du Vatican, jugé pour agressions sexuelles en Australie ; ainsi que l’« ambassadeur » du pape en France, Mgr Luigi Ventura, visé par plusieurs plaintes pour « agression sexuelle ». M. Devaux ajoute d’un ton ferme :

« Tant qu’ils ne sont pas écartés, l’Eglise n’aura aucune crédibilité. Le pape, qui est le seul à pouvoir prendre ces décisions, porte directement la responsabilité de la situation. »

Le cofondateur de La Parole libérée se dit également étonné du choix des mots du souverain pontife. Le pape argentin a ainsi comparé les victimes d’agressions sexuelles aux « êtres humains » soumis « au sacrifice de rites païens ». « Par cette comparaison, le pape place la victime sur une dimension sacrificielle et non pas sur la dimension juridictionnelle », explique M. Devaux. Un sacrifice connoté d’une manière assez positive dans les textes catholiques, souligne-t-il, citant l’épisode du sacrifice d’Isaac, dans lequel Dieu demande à Abraham de lui offrir la vie de son fils, et celui de l’agneau pascal, image de la soumission du chrétien à la volonté de Dieu, où une victime innocente est sacrifiée pour racheter les péchés des hommes.

Il s’étonne aussi de la référence pontificale à « la pression médiatique ». Car, pour lui, c’est précisément l’éclosion dans les médias de nombreux scandales de pédophilie dans l’Eglise qui ont pu permettre à la parole de se libérer – et donc in fine à la justice et aux pouvoirs publics de faire leur œuvre. « C’est d’ailleurs le sens de l’action de notre association. Nous avons choisi de travailler sur la médiatisation de ces affaires et sur l’action auprès des décideurs politiques, pour que ces scandales ne se reproduisent plus », explique-t-il. « C’est la médiatisation qui a permis la mise en place de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise, présidée par Jean-Marc Sauvé », vice-président honoraire du Conseil d’Etat.

« Le Vatican n’est plus crédible »

Un sentiment partagé par les autres victimes à travers le monde. Le Suisse Jean-Marie Fürbringer, présent sur la place Saint-Pierre lors des annonces du pape, a exprimé sa déception. « Honnêtement, c’est un bla-bla pastoral, la faute du diable. Ils noient le poisson, ça permet de ne pas aborder directement les problèmes de l’Eglise », a-t-il assené.

Pour l’Italien Francesco Zanardi, « le Vatican n’est plus crédible » et « l’Eglise continue à se sentir comme une victime ».

« C’est très décevant », a aussi taclé le Britannique Peter Saunders, ex-membre d’une commission anti-pédophilie du Vatican. « Il n’y a rien sur la tolérance zéro, l’exclusion définitive des violeurs d’enfants et des agresseurs sexuels employés par l’Eglise !, s’est-il insurgé. Le pape fait habilement diversion en regardant ailleurs, nous savons tous que c’est un problème global. »

De fait, François a consacré un très long développement aux statistiques disponibles concernant les abus sexuels perpétrés dans le monde dans toutes les sphères de la société, notamment dans les familles, les écoles et les milieux sportifs. « Nous sommes, donc, devant un problème universel et transversal qui, malheureusement, existe presque partout », a insisté le pape.

Vide juridique au Vatican

L’archevêque maltais Charles Scicluna, un organisateur du sommet et grand expert juridique des abus sexuels, a également jugé « légitimes » les attentes des victimes, disant « comprendre leur frustration ». Mais les organisateurs n’ont cessé de répéter que des plans d’action, voire des changements législatifs, seront mis en chantier dès le lendemain du sommet. Un « vade-mecum » spécifiant les démarches à entreprendre en cas de soupçon d’agression sexuelle sortira ainsi dans les deux mois à l’intention des pays manquant d’experts.

Le pape souhaite aussi la création d’équipes mobiles de spécialistes pouvant aider certaines conférences épiscopales et des diocèses « sans moyens », ont annoncé dimanche les ténors de la réunion devant la presse. Ils ont en outre promis de dévoiler prochainement une législation pour enfin encadrer la lutte contre d’éventuels cas d’abus sexuels au sein de la curie et de la cité du Vatican, curieusement dans un vide juridique.

Durant la réunion, trois membres de la curie ont aussi évoqué la possible levée du « secret pontifical » pour des cas avérés d’abus sexuels du clergé. Ils veulent de la transparence sur les procédures judiciaires de l’Eglise ; en effet, celle-ci lance des enquêtes au cours desquelles les victimes sont entendues comme témoins mais ne sont jamais tenues informées de l’état d’avancement du dossier.

Le pape avait réclamé « des mesures concrètes et efficaces » dès le lancement des débats jeudi en distribuant une feuille de route en vingt et un points, qui ont effectivement été discutés par les cent quatre-vingt-dix participants.

Pédophilie dans l’Eglise : comprendre cette crise historique
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