Selon les titres de la presse sénégalaise du 25 février 2019, le président Macky Sall est soit réélu dès le premier tour, soit en ballottage. / SEYLLOU / AFP

C’est dans une salle discrète au deuxième étage du palais de justice de Dakar que sera prononcé en premier le nom du nouveau président du Sénégal. Sur le sol, des enveloppes Kraft scellées, portant en titre l’un des 45 départements du Sénégal. Elles contiennent les procès-verbaux des commissions départementales de recensement des votes. Chacun est lu avec attention devant la commission nationale. Une assemblée silencieuse composée d’une quinzaine de membres : des magistrats, des représentants des cinq candidats et des observateurs électoraux. Le juge Demba Kandji préside. Il énumère le nombre de voix de chaque candidat. Ce mardi 26 février vers midi trente, on examine celles de la diaspora de Mauritanie et de Turquie. Il reste environ quinze procès-verbaux à passer en revue avant de pouvoir officialiser le nom du vainqueur à l’élection du 24 février.

Au dehors, les citoyens s’impatientent. Lundi dans la nuit, le premier ministre a désigné le président sortant Macky Sall « à 57 % minimum », vainqueur dès le premier tour. L’opposition a contesté, assurant qu’il y en aurait un second. Voilà deux jours que le pays est groggy, ne sachant à quelle annonce se vouer. « C’est comme ça, il va falloir attendre les résultats officialisés par la commission, vendredi au plus tard, lâche résigné Moustapha Mbodj depuis sa voiture. Je suis contre Macky, mais j’ai voté pour lui. C’est le choix le moins pire. Au départ, j’étais pour l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, mais il a fauté en faisant des fausses factures et le président l’a mis en prison. » S’il trouve que Macky Sall « n’est pas toujours très net », il a « moins de scandales » que l’ancien président Abdoulaye Wade. Quant à l’opposition, il ne lui fait pas confiance : « A chaque élection, au Sénégal, il y a des phénomènes comme Sonko et je ne vote pas pour les phénomènes. »

« Des résultats serrés »

A quelques centaines de mètres de là, au marché Karmel, les travailleurs bordent de larges tables communes où l’on sert le thiébou dieune, plat national : riz, poisson, légumes et épices. Les maraîchers portent des cageots remplis de fruits. Les chats lapent les flaques de sang sous l’étale des bouchers. Assis à l’ombre, les marchands d’art observent ce ménage. Pape Niarr, 33 ans, a repris la boutique de sa mère il y a quelques années : « On attend comme tous les Sénégalais, on respecte la justice. A chaque élection, ça se passe comme ça. Mais c’est normal, car les tendances indiquent des résultats serrés. » Lui est plutôt « pour le changement », à cause du « manque de travail pour les jeunes ».

A ses côtés, un ancien du marché, Pape Mor Sylla, 63 ans, acquiesce. « J’ai eu la chance de vivre sous tous les présidents depuis l’indépendance, de 1960 à aujourd’hui, pas grand-chose n’a changé, dit-il. Je croyais que notre démocratie était avancée, mais je suis désolé de voir ces élections. Dans la plupart des pays démocratiques, les résultats sont connus le même jour que le scrutin. Ces quiproquos et ces attaques entre pouvoir et opposition sont un manque de respect à la population qui a voté pacifiquement. »

Si, selon lui, la démocratie sénégalaise « fonctionne bien », il faut « la renforcer, sinon elle s’effritera ». Macky Sall doit « renoncer à sa position de président du Conseil supérieur de la magistrature » afin que « l’exécutif et la justice soient bien séparés ». « Les Sénégalais ne sont pas très contents, poursuit-il. On leur dit qu’il y a de l’or, du phosphate, du zircon, du pétrole et du gaz, mais ils continuent à souffrir. Les cinq candidats sont tous capables de redresser la situation. C’est un problème de volonté politique et de sincérité. Le problème, c’est qu’en Afrique, nous n’avons pas des présidents mais des rois. »

« Je respecte la démocratie »

A quelques pas, Diarra Khoureychi Dia, analyste financière de 28 ans, est venue acheter des fraises, « parce que c’est la saison » et qu’elle « adore ça ». Une manière d’oublier le stress de l’attente des résultats. Elle soutient la réélection du président, ce qui enrage son mari : « Tu te plains toujours de ceci et de cela, mais tu votes pour le gouvernement ! » Elle en rigole : « Les discussions sont enflammées à la maison. » Lui en veut à l’Etat de n’avoir pu récupérer sa carte d’électeur et de n’avoir pu exprimer sa voix. « Mon mari et mon frère sont pour le changement, mais pour qui ? Aucun opposant ne m’inspire confiance. C’est bien beau de critiquer, de dire qu’il n’a rien réalisé, mais la politique c’est pas facile. Le président a fait des routes, un aéroport, un pont… Eux doivent expliquer concrètement comment ils veulent changer le pays au lieu de polémiquer », précise-t-elle.

Deux étales plus loin, Ramata passe l’attente en vendant ses salades, comme à son habitude, car « les prix n’ont pas changé, glisse-t-elle. C’est vrai que le président a bien travaillé avec tous les projets réalisés. » Sa sœur intervient. Elle est du parti de l’ancien président Wade : « Les denrées de première nécessité devraient être moins chères et accessibles à tous. » A-t-elle suivi les consignes de Wade et brûlé son bulletin de vote en signe de boycott d’une « élection truquée » ? « Non, je respecte la démocratie, rétorque-t-elle. Le vieux est en colère parce que son fils Karim a été exclu de l’élection. »

Mais elle n’a en tout cas pas pu voter Macky Sall, « même s’il est toucouleur comme moi et donne des bourses familiales pour les pauvres ». Un homme s’interpose. Abdoulaye veut faire de Ramata sa troisième femme et la drague en plaisantant. Elle le repousse. « Nous sommes tous les deux du parti du président pourtant, lui lance-t-il. On attend vendredi alors ? » « Macky va gagner », s’exclame Ramata. « Et quand il gagnera je t’épouserai », répond Abdoulaye, la prenant par l’épaule. La sœur s’interpose : « Je suis de l’opposition et je m’oppose à ce mariage ! ». Les trois rigolent. On verra bien vendredi.