La province du Cabo Delgado au Mozambique, une terre fertile pour l’extrémisme. / Flickr, CC BY-SA

Depuis près de dix-sept mois, la province du Cabo Delgado, dans le nord du Mozambique, est prise en otage par des insurgés. Les attaques armées, les décapitations et les destructions sont devenues monnaie courante et beaucoup craignent que la violence s’intensifie et déstabilise l’économie du pays. Le problème, c’est que personne ne sait vraiment qui sont les insurgés. Faute de communication de leur part, leurs motivations restent difficiles à cerner.

Les spéculations et les théories du complot vont bon train et nombreux sont ceux – y compris parmi les représentants de l’Etat et le nouveau président de la Renamo, le parti d’opposition – qui estiment que l’insurrection est la conséquence d’une lutte au sein de l’élite nationale pour le contrôle des richesses pétrolières, gazières et minérales de la province.

Le gouvernement donne peu d’explications, et celles-ci sont souvent contradictoires. Il a, par exemple, déclaré que les violences étaient commises par des « criminels » locaux désœuvrés et que les attaques avaient pour but d’importer le djihadisme mondial au Mozambique. Ce manque d’information et ces incohérences n’aident évidemment pas à comprendre la situation dans la province du Nord et à décider des actions à prendre pour endiguer le problème.

Pour une application plus stricte de l’islam

La population locale appelle le groupe armé Al-Shabab, ce qui signifie « jeunesse » en arabe, et se réfère au groupe islamiste somalien éponyme (bien qu’il n’existe aucun lien formel entre les deux). Les origines du nouveau groupe remontent aux années 2000, lorsque des jeunes hommes du Conseil islamique ont commencé à prôner une nouvelle lecture du Coran et une nouvelle pratique de l’islam.

Dans la province du Cabo Delgado, ils ont créé une sous-organisation légale au sein du Conseil islamique, Ansaru Sunna, qui a construit de nouvelles mosquées et prêché une application plus stricte de l’islam dans toute la province. Très vite, Ansaru Sunna a donné naissance à une secte encore plus radicale et militante, que la population locale appelle Al-Shabab.

Ce groupe, opposé à l’Etat laïc, s’est d’abord occupé des pratiques et débats religieux. En 2010, les villageois de Nhacole, dans le district de Balama, ont voulu se débarrasser de lui en détruisant la mosquée. Les membres de la secte se sont réfugiés à Mucojo, dans le district de Macomia, et des tensions ont éclaté avec la population et les autorités locales. La police est intervenue à deux reprises, dont une fois en 2015 après que la secte a tenté, par la force, d’interdire l’alcool dans la ville. L’intervention s’est terminée par la mort d’un policier, poignardé par l’un des membres du groupe.

Recours aux armes

Particulièrement inquiètes des actions du groupe, des personnalités et des organisations musulmanes – parmi lesquelles le Conseil islamique, dont Al-Shabab s’est séparée – ont demandé plusieurs fois au gouvernement d’intervenir. Fin 2016, ce dernier a finalement accédé à leur demande et commencé à arrêter et traduire en justice certains leaders dans toute la province. Ceux-ci ont été accusés de désinformation, de rejet de l’autorité de l’Etat, de refus d’envoyer leurs enfants à l’école et d’utilisation de couteaux pour se protéger.

On ne sait pas quand les membres d’Al-Shabab ont commencé leur entraînement militaire, mais les actions de l’Etat contre leurs leaders semblent avoir marqué leur passage au conflit armé. Leur première attaque a eu lieu en octobre 2017 dans la ville de Mocímboa da Praia et dans les communautés environnantes.

Depuis, les membres de la secte ont établi leur camp dans la forêt d’où ils attaquent des villages isolés. Le nombre d’attaques et leur brutalité n’ont cessé d’augmenter en 2018. L’insurrection s’est davantage organisée et concentrée sur une bande côtière d’environ 150 km, de la capitale de la province de Pemba à la frontière tanzanienne.

Les graines de la discorde

Il est clair que l’insurrection s’est construite sur certaines tensions sociales, religieuses et politiques locales. La province du Cabo Delgado est la plus pauvre du Mozambique : le taux de chômage y est élevé, en particulier chez les jeunes, elle est en grande partie rurale et les services publics n’y sont pas efficaces. Les récentes découvertes de pétrole et de gaz dans la région ont suscité beaucoup d’espoirs, mais les communautés n’en ont tiré que très peu d’avantages, voire aucun, en particulier dans les zones rurales.

Le fait que les musulmans se sentent particulièrement marginalisés dans la province du Cabo Delgado, alors que leurs voisins ethniques ont un accès privilégié au pouvoir politique national depuis l’indépendance, contribue en outre à expliquer l’ascension d’un discours islamiste anti-Etat.

On a beaucoup parlé des liens du groupe avec la Somalie, la République démocratique du Congo et l’Ouganda, mais il a surtout des relations avec la Tanzanie. Les imams mozambicains se forment en Tanzanie depuis plus d’un siècle et les échanges entre les communautés religieuses des deux côtés de la frontière ont lieu depuis plus longtemps encore. Il n’est donc pas surprenant que Al-Shabab du Mozambique ait noué des liens avec des musulmans aux vues similaires en Tanzanie dans les années 2010.

A la recherche de solutions

Lorsque les radicaux tanzaniens sont passés à la violence et que l’Etat a réagi par la force après 2015, et plus particulièrement au début de 2017, certains ont rejoint Al-Shabab au Mozambique, ce qui a renforcé et partiellement internationalisé l’insurrection.

Puisque Al-Shabab au Mozambique n’est pas né d’un complot interne ou externe, l’Etat doit se concentrer sur les dynamiques sociales, religieuses et politiques en jeu pour contrôler et combattre l’insurrection. Si l’armée mozambicaine a réussi à contenir l’expansion géographique de la secte armée, le gouvernement doit s’employer avec la même force à se pencher sur les problèmes que rencontre la population, et que les insurgés exploitent.

Le chercheur mozambicain Yussuf Adam a avancé une idée intéressante à ce propos. Il fait valoir que l’Etat devrait organiser des « états généraux » pour identifier les problèmes et élaborer des solutions, depuis la base et de manière inclusive.

Eric Morier-Genoud est maître de conférences en histoire africaine à l’université Queen’s de Belfast.

Cet article a d’abord été publié sur le site de The Conversation.