Le Pakistan a annoncé, mercredi 27 février, avoir abattu deux avions indiens dans son espace aérien, dans la région disputée du Cachemire. Cette frappe intervient en représailles de frappes indiennes au Pakistan, mardi, contre un camp d’entraînement du groupe islamiste Jaish-e-Mohammad (JeM), qui avait revendiqué l’attentat-suicide ayant tué au moins 40 paramilitaires indiens le 14 février.

Dans la journée de mercredi, la situation restait très confuse. Julien Buisson, correspondant du « Monde » en Inde, a répondu en direct à vos questions.

Antoine : Quelle est la position de la France sur ces tensions ?

Julien Buisson, correspondant du « Monde » en Inde : Ces événements ont provoqué l’inquiétude de la communauté internationale dans son ensemble. La Chine et l’Union européenne ont ainsi appelé mardi les deux pays à « la retenue ». La France, de son côté, a défendu « la légitimité de l’Inde à assurer sa sécurité contre le terrorisme transfrontalier » et demandé au Pakistan de « mettre fin aux agissements des groupes terroristes installés sur son territoire ».

Siriocaramelli : Qu’en est-il des résultats de la frappe aérienne indienne ? Y a-t-il des images satellites du camp visé ?

J. B. : Très peu d’images satellites ou non satellites de la « frappe » de mardi sont disponibles. L’Inde a diffusé des photographies de ce qu’elle décrit comme le « camp d’entraînement terroriste » au Pakistan visé par ses frappes aériennes.

L’armée pakistanaise a aussi diffusé des images montrant un cratère (il ferait de deux à trois mètres de diamètre) dans un endroit boisé, quelques heures seulement après les bombardements indiens mardi matin. Mais comment être certain que c’est l’endroit visé par les frappes ?

La guerre de communication et de propagande a pris une ampleur inédite avec l’importance des médias sociaux. Tout le monde y participe : journalistes, commentateurs, militaires, analystes, responsables politiques.

LiseF : Les tensions entre l’Inde et le Pakistan existent depuis de nombreuses années, pensez-vous que cela peut être un « tournant » dans ce conflit, qui restait « soft » jusqu’à présent ?

J. B. : Il faut attendre et avoir un peu plus de recul pour savoir si c’est un tournant. Mais dans cette crise, l’Inde a franchi plusieurs lignes rouges qu’elle s’était auparavant fixées.

C’est la première fois depuis la guerre de 1971 que des avions de combat indiens sont entrés aussi loin dans l’espace aérien pakistanais. Lors de la dernière guerre indo-pakistanaise de 1999 au Kargil (Etat du Jammu-et-Cachemire, en Inde), le premier ministre indien de l’époque, Atal Bihari Vajpayee, un nationaliste hindou comme Narendra Modi n’avait pas autorisé l’aviation indienne à s’aventurer trop loin de la zone de la ligne de contrôle par peur d’une escalade.

C’est aussi la première fois que l’Inde envoie son armée de l’air pour répondre à une attaque-suicide revendiquée par un groupe islamiste sur le sol indien.

Des manifestants indiens brûlent un drapeau pakistanais, à New Delhi le 17 février 2019, au lendmain d’un attentat-suicide ayant tué quelque 40 soldats indiens dans l’Etat du Jammu-et-Cachemire, revendiqué par le groupe islamiste Jaish-e-Mohammed (JeM), établi au Pakistan. / SAJJAD HUSSAIN / AFP

Bertrand : Est-ce que le Pakistan peut être considéré comme une démocratie ? Quel est le poids des islamistes ? Les tensions au Cachemire sont-elles d’origines religieuses ?

J. B. :  Aux guerres entre l’Inde et le Pakistan qui se disputent la souveraineté du Cachemire est venu se greffer un mouvement indépendantiste au Cachemire à la fin des années 1980. Un mouvement alimenté par l’infiltration de militants formés au Pakistan et qui traversaient la frontière pour combattre les forces de sécurité indiennes.

Désormais, les infiltrations ont considérablement diminué et on assiste à une insurrection au Cachemire indien qui est un peu plus déconnectée du Pakistan. Les analystes parlent d’une homegrown insurgency. Il ne faut pas oublier que le kamikaze qui a tué au moins 40 paramilitaires indiens il y a douze jours était un Indien du Cachemire, même si l’attaque a été revendiquée par un groupe islamiste basé au Pakistan.

L’insurrection au Cachemire s’est amplifiée et radicalisée au cours des dernières années. Dans les manifestations au Cachemire indien, le slogan « Shariyat ya Shahadat » (la loi islamique ou la mort) a remplacé celui d’« Azadi » (liberté).

Supporteurs et activistes du parti Tehreek-e-Labbaik (PLT, parti pakistanais islamiste radical), lors d’une marche anti-indienne, à Karachi (Pakistan) le 24 février 2019. / RIZWAN TABASSUM / AFP

Tensions : Un petit message de Delhi pour témoigner de la tension ici ! Merci de votre live. Pourriez-vous un peu parler du rôle des élections à venir dans la montée des tensions ?

J. B. : Il ne faut pas oublier la dimension de la politique intérieure indienne dans cette crise indo-pakistanaise. Les élections ont lieu dans quelques semaines et elles s’annoncent très serrées. Il faut savoir qu’à chaque campagne électorale, Narendra Modi mentionne le Pakistan pour projeter de lui une image de leader fort et intransigeant. Ce moment est crucial pour ses chances de réélection.

En 2012, il a avait accusé le premier ministre Manmohan Singh de faiblesse vis-à-vis du Pakistan. Pas plus tard qu’en 2017, il a sous-entendu que le Congrès, dans l’opposition, était complice du Pakistan.

Et puis les nationalistes hindous qui dirigent l’Inde sont fidèles à eux-mêmes. Nationalistes, ils revendiquent la souveraineté de l’Inde sur la région à majorité musulmane du Cachemire et appellent à la vengeance contre le Pakistan. Hindous suprémacistes, ils s’attaquent aux Cachemiris musulmans perçus comme des citoyens de seconde zone, voire une menace. De nombreux Cachemiris ont été attaqués en Inde ces dernières semaines, car on les soupçonne d’être « antinationaux ».

Princesse : Comment les gens du Cachemire vivent-ils cette crise (et les tensions depuis des années) ?

J. B. : Merci pour cette question. Car l’autre tragédie de cette crise, c’est qu’on parle beaucoup du Cachemire sans parler des Cachemiris. Ils sont oubliés. Dans les médias Indiens, on parle frappes aériennes, ripostes militaires et très peu des Cachemiris qui vivent en ce moment dans la peur. De nombreuses arrestations ont eu lieu ces dernières semaines là-bas. Les autorités Indiennes disent que ce sont des « terroristes », mais le sont-ils vraiment ?

La répression des manifestations ces dernières années s’est intensifiée. Les forces de sécurité tirent sur les manifestants avec des billes de plomb. De nombreux adolescents ont perdu la vue. Les hôpitaux psychiatriques sont remplis. Les Cachemiris paient le prix de cette crise indo-pakistanaise.

Ici notre récit : L’agonie sans fin du Cachemire

Cioran : Quels sont les alliés de l’Inde à l’échelle internationale ?

J. B. : Outre les traditionnels alliés historiques comme les Etats-Unis, l’Union européenne, le Japon et l’Australie en Asie, New-Delhi s’est rapprochée des pays du Golfe depuis l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi en 2014.

Ce rapprochement peut avoir son importance. Sushma Swaraj, la ministre Indienne des affaires étrangères a ainsi été invitée pour la première fois à s’exprimer devant l’Organisation de la coopération islamique le 1er mars, ce qui était impensable il y a quelques années.

Il faut également observer le changement de discours de la part des alliés de l’Inde. Les Etats-Unis ne se contentent plus d’appeler les deux pays à la « retenue » et au « dialogue ». Le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo a qualifié mercredi les frappes aériennes Indiennes d’« actions antiterroristes » et a demandé à Islamabad d’« agir contre les groupes terroristes opérant sur son sol ».

Avec l’aide de la France, l’Inde cherche à inscrire Masood Azhar, le chef du Jaish-e-Mohammed (JeM) qui vit en liberté au Pakistan, sur la liste de sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU. Mais la démarche a peu de chance peu d’aboutir, car la Chine, très proche du Pakistan, devrait poser son veto.

Même les analystes pakistanais s’accordent à dire que l’Inde bénéficie de meilleurs appuis diplomatiques que le Pakistan et c’est sans doute, aussi, grâce à son poids économique.

Une chronologie de la crise entre l’Inde et le Pakistan depuis la mi-février

  • Le 14 février 2019, un attentat-suicide tue quelque 40 soldats indiens dans l’Etat du Jammu-et-Cachemire. Cette attaque est revendiquée par le groupe islamiste Jaish-e-Mohammed (JeM), établi au Pakistan. Le Pakistan, lui, dément toute implication. Il s’agit de l’attaque la plus meurtrière contre l’armée indienne au Cachemire depuis le début de l’insurrection séparatiste, en 1989.
  • Le 15 février, le premier ministre indien Narendra Modi promet une réponse ferme de son pays. « Je veux dire aux groupes terroristes et à leurs maîtres qu’ils ont commis une grosse erreur. Ils vont devoir payer le prix fort », déclare-t-il.
  • L’Inde déclenche une chasse à l’homme pour retrouver les rebelles soupçonnés d’avoir fomenté l’attentat-suicide du 14 février. Lundi 18 février, trois islamistes sont tués dans une opération militaire. Parmi eux, deux Pakistanais, dont le « commandant des opérations » du groupe, selon l’armée indienne.
  • Le 26 février, l’Inde affirme avoir conduit des « frappes préventives » sur un camp d’entraînement du JeM, en territoire pakistanais, et tué de nombreux rebelles. Le Pakistan nie ce déroulé des événements et affirme que les avions indiens ont bien largué une charge sur son territoire, mais que celle-ci n’a fait ni dégâts ni victimes.
  • Le 27 février, le Pakistan assure avoir abattu deux avions indiens qui étaient entrés dans son espace aérien. Malgré les appels à la retenue de la communauté internationale, la tension monte entre les deux pays. Le Pakistan annonce la fermeture de son espace aérien.

Ici, l’intégrale du Live du mercredi 27 février sur la crise indo-pakistanaise.