Editorial du « Monde ». Décidément, la ligne ferroviaire à grande vitesse entre Lyon et Turin a du mal à voir le bout du tunnel. La liaison, qui doit permettre de rallier les deux métropoles en une heure quarante-cinq, contre quatre heures actuellement, est confrontée à une course d’obstacles qui semble sans fin.

Lancé en 1991, le projet, qui a fait pourtant l’objet d’un traité franco-italien, ratifié en janvier 2017, est devenu un enjeu politique entre les deux pôles de la coalition au pouvoir en Italie. Tandis que la Ligue (extrême droite) y est favorable, le Mouvement 5 étoiles (M5S, antisystème) est viscéralement contre. Ces dissensions au sein du pouvoir italien illustrent la fragilité d’un attelage aux intérêts divergents, qui fait planer le doute sur la capacité du pays à tenir ses engagements internationaux et à attirer des investissements cruciaux.

Les deux partenaires de la coalition ont tenté d’afficher un front uni, le 21 février, en votant au Parlement une motion ambiguë qui demande au gouvernement de « rediscuter intégralement le projet de la ligne Turin-Lyon dans l’application de l’accord entre l’Italie et la France ».

En résumé, le projet est remis en cause… mais Rome assure qu’elle honorera ses engagements. Cette solution tient plutôt de la combinazione politicienne pour gagner du temps, alors que le projet est largement engagé et bénéficie de financements européens à hauteur de 40 % et que l’Italie a un besoin criant d’investissements pour soutenir une économie défaillante.

Deux défauts majeurs

Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage. Le M5S n’a pas de mots assez durs pour fustiger le train à grande vitesse Lyon-Turin. « Un trou inutile dans une montagne », estime le ministre des transports et des infrastructures, Danilo Toninelli. Le mouvement antisystème fonde son argumentaire sur une étude du ministère des transports italien au vitriol, rendue publique mi-février.

Le document dénonce un gigantesque gaspillage, le projet se basant sur des projections de trafic irréalistes, tandis que l’impact environnemental positif serait finalement moins important que prévu. Un diagnostic sujet à caution, tant il minore les apports du projet, tout en en exagérant les nuisances.

En fait, pour le M5S, le train à grande vitesse Lyon-Turin présente deux défauts majeurs. D’abord, il concerne le nord du pays, déjà richement doté et jalousé par le sud, où la formation politique réalise ses meilleurs scores. Ensuite, le projet va à l’encontre de la « décroissance heureuse » que le mouvement prône depuis ses débuts. Pourtant, celle-ci est déjà là.

L’Italie, qui n’a toujours pas retrouvé son PIB d’avant la crise de 2008, est entrée en récession au second semestre de 2018, tandis que l’année 2019 ne s’annonce guère meilleure. La coalition, qui a déjà dû revoir à la baisse ses ambitions en matière de dépenses publiques, afin de respecter ses engagements européens, pourrait être obligée de renoncer de nouveau à certaines parties de son programme, faute de recettes publiques suffisantes.

Cette panne de croissance constitue l’un des principaux maux de l’économie transalpine, dont découlent tous les autres : chômage endémique, productivité en berne et surtout surendettement public. Dans ce contexte, renoncer à un projet comme le Lyon-Turin paraît difficilement justifiable, alors que le pays a un besoin urgent de relancer son économie, sans compter que l’arrêt du chantier obligerait l’Italie à rembourser les financements européens déjà versés. Car, on a eu tendance à l’oublier ces derniers temps à Rome, l’Europe peut aussi avoir des vertus.