Evacuation d’habitants de Baghouz, en Syrie, le 26 février. / DELIL SOULEIMAN / AFP

Un peu plus d’un an après l’annonce officielle de la « victoire » contre l’organisation Etat islamique (EI) en Irak, la défaite de l’organisation semble également proche en Syrie. Mais le basculement insurrectionnel de l’EI dans certaines zones rurales et la multiplication des attentats font craindre une résurgence de l’organisation, explique Michael Knights, spécialiste de l’Irak et chercheur associé au Washington Institute for Near East Policy.

Selon vous, la défaite de l’Etat islamique en Syrie signifie-t-elle la fin de l’organisation ?

L’Etat islamique existait avant de contrôler des territoires et continuera d’exister après les avoir perdus. Nous comprenons exactement ce qu’il se passe lorsque l’EI perd ses territoires. Nous avons analysé toutes les zones de Syrie et d’Irak où l’EI a été éliminé. Dans certaines zones irakiennes libérées, nous avons constaté que l’organisation avait basculé immédiatement dans une stratégie insurrectionnelle.

L’EI utilise la même stratégie qu’entre 2011 et 2014, qui consistait à cibler et tuer les dirigeants locaux sunnites et à combattre les forces de sécurité, ce qui leur permet un contrôle effectif des zones rurales, notamment la nuit. Certes, le califat « de jour » dans les villes a aujourd’hui disparu, mais le califat « de nuit » dans les campagnes continue d’exister.

Le retour à l’insurrection « classique » après les défaites successives de l’EI en Syrie et en Irak est-il une étape décisive dans la poursuite du conflit ?

Absolument, il s’agit d’une nouvelle phase dans leurs opérations. Dès l’été 2016, l’Etat islamique avait déclaré ouvertement dans son magazine et sur Internet qu’il reviendrait à l’insurrection après la perte des villes qu’il contrôlait. Il savait déjà que ces défaites seraient inévitables.

La stratégie est la suivante : rester dans le désert et les zones rurales pour tuer autant de dirigeants sunnites locaux que possible, tactique qui avait fait le succès de l’organisation entre 2011 et 2014. Cette tactique se base sur les préceptes de l’analyse des enseignements tirés par l’EI en 2009 [l’organisation avait alors été pourchassée par des forces sunnites supplétives de l’armée américaine].

Quel est le niveau d’intensité de cette insurrection en Irak et dans la région ? Quelles zones sont touchées ?

L’insurrection de l’EI est faible dans la majeure partie de la Syrie, ainsi que dans les provinces irakiennes de l’Anbar et de Salahaddin, et à Bagdad. En revanche, elle est robuste en dehors des villes des provinces de Ninive, de Kirkouk et de Diyala, zones où l’EI va devenir plus fort dans l’année à venir, selon moi. Trois facteurs ayant contribué à son essor entre 2011 et 2014 font actuellement défaut et l’empêchent de redevenir un groupe très puissant.

D’abord, la Syrie n’est plus une base effective pour le groupe, qui fait désormais face à de nombreux ennemis dans ce pays. Cette situation risque toutefois de changer si les troupes américaines se retirent de Syrie. Deuxièmement, les forces de sécurité irakiennes sont aujourd’hui bien dirigées et bénéficient d’un soutien international important, ce qui n’était pas le cas lors de la période 2011-2014. Enfin, la présence des forces de la coalition empêche l’EI de redevenir militairement puissant.

Les zones d'influence de l'Etat islamique, le 19 décembre 2018. / Institute for the Study of War

L’armée irakienne est-elle en mesure de devenir une force anti-insurrectionnelle efficace ?

Cela prend du temps. L’EI a relancé son insurrection avant que les Irakiens ne soient capables de l’arrêter. Le groupe djihadiste est capable de changer de stratégie en un mois quand l’armée irakienne met deux ans à redevenir une force capable de contrer ce mouvement. Nous sommes actuellement dans ce décalage temporel.

Le président américain Donald Trump a déclaré en décembre 2018 vouloir retirer les troupes américaines de la zone irako-syrienne. Quelles seront les conséquences de ce retrait pour l’EI dans la région ?

Les Américains essayent de reprendre la dernière poche de l’EI avant de se retirer et c’est pour cela que l’opération offensive continue actuellement [dans l’est de la Syrie]. Nous ne savons pas encore de quelle nature sera l’engagement futur des Etats-Unis. Il pourrait s’agir de la présence seule de la CIA, de petites forces spéciales ou de quelque chose de plus important. Nous ne savons pas non plus ce qu’il adviendra de la position turque [qui menace les territoires contrôlés par les forces kurdes syriennes, alliées de Washington]. Tout cela n’est pas encore très clair.

L’EI a-t-il toujours les moyens de perpétrer des attentats en Occident ?

Oui. Il est certain qu’il y aura de nouvelles attaques de l’EI à travers le Moyen-Orient et l’Europe, et occasionnellement, même aux Etats-Unis.