Des manifestants pakistanais brûlent une affiche du premier ministre indien, Narendra Modi, mercredi 27 février, à Peshawar. / Muhammad Sajjad / AP

Espaces aériens fermés, « frappes préventives » menées, avions abattus…, la tension est montée de plusieurs crans ces derniers jours entre l’Inde et le Pakistan, deux pays voisins disposant de l’arme nucléaire.

Derniers épisodes en date : Islamabad (la capitale pakistanaise) a annoncé, mercredi 27 février, avoir abattu deux avions indiens dans la région du Cachemire disputée entre les deux pays et avoir fait prisonnier un pilote. Une version ensuite contestée par New Delhi (la capitale indienne). Pourquoi ce retour des violences maintenant ? En quoi le Cachemire est une zone sensible de la région ? Comment réagi la communauté internationale ? Explications.

  • D’où est partie cette nouvelle escalade de la violence entre les deux pays ?

Mardi, l’Inde dirigée par le nationaliste hindou Narendra Modi annonce avoir mené des « frappes » sur le « plus grand camp d’entraînement » du groupe islamiste Jaish-e-Mohammed (JeM, « armée de Mohammed »), à Balakot, près du Cachemire, dans le nord du Pakistan. C’est la première fois depuis la guerre de 1971 que des avions de combat indiens ont lancé des frappes aussi loin en territoire pakistanais.

Cette intervention est une réponse à l’attentat-suicide survenu le 14 février dans la partie indienne du Cachemire. Cette attaque, qui avait provoqué la mort d’au moins 40 paramilitaires indiens, avait été revendiquée par la JeM, qui a été visée par les frappes indiennes mardi. Ce même groupe était également impliqué dans l’attaque d’une base militaire indienne en 2016 à Uri, et du Parlement à New Delhi en 2001.

L’Inde n’avait pas connu une attaque-suicide aussi meurtrière contre son armée au Cachemire depuis 1989. Au lendemain de l’attentat, le premier ministre Narendra Modi avait prévenu : les responsables devront en « payer le prix lourd ». Près de 400 dirigeants séparatistes ou responsables d’organisations musulmanes ont également été arrêtés le week-end dernier. New Delhi soupçonne la JeM de préparer d’autres attentats-suicides et accuse le Pakistan d’abriter et de soutenir le mouvement islamiste. Des « affirmations absurdes », a répliqué Islamabad.

Et c’est donc à la suite de ces « frappes préventives » menées par l’Inde que le Pakistan a répliqué, affirmant avoir abattu deux avions indiens mercredi matin dans son espace aérien et avoir capturé un pilote indien. De son côté, l’Inde assure avoir abattu un avion pakistanais, affrontement au cours duquel un de ses propres avions a été abattu par le Pakistan.

Le Pakistan affirme avoir abattu deux avions indiens, mercredi 27 février. Une version contredite par New Delhi. / STR / AFP

Par ailleurs, quatre personnes, dont deux enfants, ont été tuées mardi dans un échange de tirs entre militaires indiens et pakistanais près de la ligne de démarcation qui sépare les parties du Cachemire sous contrôle des deux pays.

  • Pourquoi un retour des violences maintenant ?

Outre l’attentat-suicide du 14 février, cette montée de la tension entre l’Inde et le Pakistan, autour de la région disputée du Cachemire, intervient à quelques semaines des élections générales prévues en avril et mai. En 2016, quelques jours après l’attaque contre une de ses bases militaires à Uri, l’Inde avait envoyé des hélicoptères à quelques kilomètres à l’intérieur du territoire pakistanais, évoquant des « frappes chirurgicales ». Une riposte bien moins élevée que celle de mardi matin.

Le premier ministre indien, Narendra Modi, le 24 février, à Allahabad. / SANJAY KANOJIA / AFP

Pour Christophe Jaffrelot*, directeur de recherche au CERI-Sciences Po (CNRS), ce qui se déroule actuellement « s’explique par la campagne électorale. Narendra Modi doit apparaître fort à l’approche de cette échéance et il ne pouvait pas ne pas réagir à l’attentat du 14 février ».

« Modi a fait toute sa carrière politique sur ce sujet : la défense de l’Inde face au Pakistan. C’est un rituel chez lui, que ce soit avant des élections nationales ou régionales, de jouer sur le repoussoir pakistanais. Mais là en frappant aussi loin dans les terres pakistanaises, il a franchi une ligne rouge. Il sait qu’il joue son avenir politique. »

Face à ce regain de tensions, le premier ministre pakistanais a toutefois renouvelé mercredi son appel à des « négociations ». « Pouvons-nous nous permettre le moindre mauvais calcul avec le genre d’armes que vous avez et que nous avons ? », a interrogé Imran Khan lors d’un bref discours télévisé, en référence à l’arsenal nucléaire que possèdent les deux pays. Cette offre a peu de chances d’être entendue par le premier ministre indien. D’autant que pour M. Jaffrelot « ce qui s’est passé mercredi matin, avec notamment la capture d’un pilote indien haut gradé par le Pakistan a vraiment été vécu commune une humiliation en Inde. »

  • Pourquoi les deux pays se disputent le Cachemire ?

Au-delà de la tension qui a ressurgi ces derniers jours, le conflit entre l’Inde et le Pakistan dure depuis plus de soixante-dix ans. Les deux pays se sont livré trois guerres depuis leur indépendance.

Mais le centre névralgique de ces affrontements se déroule au Cachemire. Cette région himalayenne est en effet revendiquée par les deux pays depuis la fin de la colonisation britannique, en 1947. Deux ans plus tard, une ligne de cessez-le-feu est créée, qui partage le Cachemire en deux : l’Azad-Cachemire, au nord, appartient au Pakistan ; au sud, le Jammu-et-Cachemire devient un territoire indien. Mais pour Islamabad, cette partie, à majorité musulmane, devrait lui revenir.

Infographie / Le Monde

A la fin des années 1980, un mouvement indépendantiste fait son irruption dans la région. Ces groupes, alimentés par des militants formés au Pakistan, traversent la frontière pour combattre les forces de sécurité indiennes. L’Inde accuse régulièrement le Pakistan de soutenir en sous-main ces infiltrations de militants islamistes et la rébellion armée au Cachemire indien, ce que les autorités pakistanaises ont toujours démenti.

Le gouvernement indien est également confronté à un nouveau front interne, chez les Cachemiris indiens. L’auteur de l’attentat du 14 février est d’ailleurs un jeune Indien. « Modi s’est aliéné la population du Cachemire indien, rappelle M. Jaffrelot. Le premier ministre souhaite mettre fin au statut spécial de cette région inscrit dans la Constitution et veut en finir avec son autonomie. Cette politique assimilationniste, qui est accompagnée notamment d’une répression militaire – et qui a été critiquée par l’ONU en 2018 –, est très mal vécue par la population cachemirie. Cela permet aux groupes djihadistes pakistanais de trouver des relais sur place pour commettre des actions. »

L’insurrection au Cachemire indien s’est ainsi amplifiée et radicalisée au cours des dernières années. Entre 2014 et 2018, le nombre d’« incidents terroristes », selon la terminologie du gouvernement indien, a presque triplé, passant de 222 à 614. Dans les manifestations, le slogan « Shariyat ya Shahadat » (« la loi islamique ou la mort ») a remplacé au fil des ans celui d’« Azad » (« liberté »). L’Inde a alors durci la répression en faisant du Cachemire la région la plus militarisée du monde, avec 600 000 soldats. Et après l’attentat du 14 février, l’Inde a décidé d’y déployer 10 000 paramilitaires supplémentaires.

* L’Inde de Modi, nationalisme-populisme et démocratie ethnique, Fayard, à paraître en mars 2019.