LES CHOIX DE LA MATINALE

De la Chine à l’Ecosse, d’un camp de réfugiés palestiniens aux prés verts du Cotentin, du mythe Robert Mitchum aux destins bouleversés des opposants à Pinochet, on voyage dans le temps et dans l’espace cette semaine avec un programme riche et éclectique.

« Les Eternels » : marginaux dans la Chine contemporaine

LES ETERNELS Bande Annonce (2019) Drame
Durée : 02:08

D’aucuns soupçonnent Jia Zhang-ke, 48 ans, d’avoir mis de l’eau dans son vin, au fur et à mesure que le jeune cinéaste enragé des débuts, aux tournages quasi clandestins (Xiao Wu, artisan pickpocket, 1997), est devenu un artiste de renommée mondiale, mais aussi un homme politique (député de sa province natale, le Shanxi), businessman et directeur de festival, occupant une place stratégique dans l’écosystème du cinéma chinois.

Ce qui frappe pourtant à chacun de ses nouveaux films, c’est son obstination à creuser un même sillon, remettant inlassablement en perspective les mutations récentes de la Chine contemporaine avec le désarroi affectif des êtres marginalisés. Les Eternels, son dernier long-métrage, injustement privé de récompense lors du Festival de Cannes, où il fut présenté en compétition au printemps 2018, non seulement persiste dans cette voie, mais fait de la persistance même son propre sujet.

Constitué de trois parties, Les Eternels s’ouvre en 2001, à l’aube de cette ère, et se déroule sur les dix-huit ans qui nous séparent d’elle, vaste perspective de temps dont il dresse, en quelque sorte, le bilan rétrospectif.

A Datong, dans la province du Shanxi, la population ouvrière est invitée par les autorités à se relocaliser avec son industrie minière dans la province frontalière du Xinjiang, dans l’extrême nord-ouest du pays. Ce déplacement ouvre une brèche considérable dans l’économie locale pour la prospérité des réseaux mafieux. Bin (Liao Fan), jeune lieutenant respecté, règne sur une salle de jeux et se hisse à la tête de son clan, au côté de la belle Qiao (formidable Zhao Tao, muse du cinéaste). Mathieu Macheret

« Les Eternels », film chinois de Jia Zhang-ke. Avec Zhao Tao, Liao Fan, Xu Zheng, Casper Liang (2 h 21).

« Nice Girls Don’t Stay for Breakfast » : rêverie sur Robert Mitchum

Nice Girls don't stay for breakfast - Bande-annonce
Durée : 01:41

Bruce Weber, photographe de renom connu pour ses campagnes publicitaires et ses photos de mode, dont l’étoile a pâli en 2018 après sa mise en cause pour abus sexuel par plusieurs mannequins, a aussi marqué les cinéphiles pour Let’s Get Lost (1988), beau documentaire sur le trompettiste et chanteur de jazz Chet Baker, ressorti en 2008.

A la vision de Nice Girls Don’t Stay for Breakfast, dédié au culte de l’acteur américain Robert Mitchum, on se dit que le terme de documentaire sied mal aux films de Weber.

De Mitchum, on glane des informations sur sa vie privée et son enfance, mais l’intérêt du film se situe ailleurs, car le sujet est moins l’homme que l’icône. Pour comprendre ce que tente de faire Weber, il faut ne pas séparer le photographe de mode du cinéaste : Nice Girls… se visionne comme on tournerait les pages d’un magazine de mode. Le terme de rêverie documentaire serait plus approprié. Le film est composé comme un flux continu de photos, d’extraits de films et de séquences où Mitchum dîne, chante, flirte avec des actrices ou une groupie. Weber a pu rencontrer plusieurs fois l’acteur en 1991 et ce sont ces séquences inédites qui font tout le prix de Nice Girls…. Murielle Joudet

« Nice Girls Don’t Stay for Breakfast », documentaire américain de Bruce Weber (1 h 31).

« Santiago, Italia » : témoignages d’opposants à Pinochet

Bande annonce : SANTIAGO, ITALIA
Durée : 01:18

C’est, comme aime à le répéter son auteur, une « belle histoire italienne ». Cette histoire, c’est le rôle exemplaire de quelques jeunes diplomates de l’ambassade italienne à Santiago, au Chili, durant le coup d’Etat notamment mené par le général Pinochet en septembre 1973.

Quelque six cents opposants, fuyant la dictature sanglante dont le président socialiste démocratiquement élu Salvador Allende sera une des premières victimes, trouvent refuge derrière les murs de l’ambassade, où une vie communautaire s’instaure au pied levé avant que ces hommes et ces femmes ne soient in fine accueillis par l’Italie.

L’homme qui évoque cette histoire, c’est le cinéaste Nanni Moretti, qui ne s’aventure que très rarement sur le terrain du documentaire. Santiago, Italia affecte une forme ultraclassique, où la parole et le témoignage qu’elle véhicule sont rois.

Moretti, s’effaçant délibérément, compose son film au montage, orchestrant la progression narrative à partir de la matière recueillie auprès d’une vingtaine d’intervenants ayant vécu cet épisode au plus près, dans leur chair. Certains sont connus, comme Patricio Guzman ou Carmen Castillo, eux-mêmes cinéastes de grande qualité, d’autres anonymes, mais non moins vibrants dans leur manière de ramener ces sombres souvenirs à leur mémoire. Jacques Mandelbaum

« Santiago, Italia », documentaire italien de Nanni Moretti (1 h 20).

« Marie Stuart, reine d’Ecosse » : deux femmes et un trône

Marie Stuart, Reine d'Écosse / Bande-annonce officielle VOST [Au cinéma le 27 février]
Durée : 02:30

Monarque britannique : s’il est une profession qui garantit l’immortalité cinématographique, c’est bien celle-là. Il n’est pas jusqu’à l’obscure reine Anne Stuart qui n’ait remporté un Oscar, par la grâce d’Olivia Colman, couronnée pour La Favorite. Les aïeules plus illustres d’Anne, Elizabeth Tudor d’Angleterre et Marie Stuart d’Ecosse, n’ont pas eu cette chance. Le premier long-métrage de Josie Rourke, femme de théâtre à la réputation londonienne bien assise, n’a pas été bien loin dans la course aux trophées. C’est sans doute un signe de surdose.

Il ne faut pas pour autant réduire Marie Stuart, reine d’Ecosse, à la répétition d’un format éprouvé. Inventifs, brillants (souvent), lourdement appuyés (parfois), le scénario de Beau Willimon (auteur de la version américaine de House of Cards) et surtout la mise en scène de Josie Rourke envisagent l’histoire de la rivalité entre les reines comme le combat de deux femmes pour la maîtrise de leur corps.

Comme on le sait – grâce à John Ford (Marie Stuart, 1937, avec Katharine Hepburn) ou aux livres d’histoire – la reine d’Ecosse finit coupée en deux, sur ordre de sa cousine d’Angleterre. Le film de Josie Rourke commence par cette séquence : Marie Stuart (Saoirse Ronan) marche à l’échafaud, sa robe noire est déchirée pour révéler une tunique rouge, couleur du martyre chez les catholiques. Thomas Sotinel

« Marie Stuart, reine d’Ecosse », film britannique de Josie Rourke. Avec Saoirse Ronan, Margot Robbie, Jack Lowden (2 h 04).

« Jeune bergère » : portrait d’une pionnière

JEUNE BERGÈRE Bande Annonce (2019) Documentaire
Durée : 01:47

Il était une fois dans l’Ouest (de la France) une bergère. Parisienne, trentenaire, reconvertie dans l’élevage bio. Filmé comme un western, dans les prés salés du Cotentin où paissent les troupeaux en quasi-liberté, Jeune bergère, premier long-métrage documentaire de Delphine Détrie, est le portrait fiévreux d’une éleveuse qui tient tête. Les ennemis guettent et le rêve se heurte à la dureté d’un monde agricole et de ses règles archaïques.

Stéphanie Maubé, ancienne graphiste, a eu le coup de foudre pour la nature normande. Après un an dans un lycée agricole, puis des stages chez des éleveurs, elle s’est installée avec son fils et 180 bêtes. Acteurs secondaires : les voisins, parfois mal intentionnés, le conseiller en gestion, calculette à la virgule près, les visiteurs de la ferme, solidaires mais de passage. Stéphanie Maubé a cinq ans pour prouver que son entreprise est rentable.

La réalisatrice a filmé les péripéties et les ciels changeants de l’aventure : de la bergerie « pouponnière », où naissent les agneaux, à la gendarmerie où elle porte plainte quand on lui vole une brebis. Clarisse Fabre

« Jeune bergère », documentaire français de Delphine Détrie. Avec Stéphanie Maubé (1 h 31).

« Wardi » : dans le camp palestinien animé

Bande-annonce WARDI (sortie le 27 février 2019)
Durée : 01:51

On imagine avec quel soin artisanal les marionnettes de Wardi, film d’animation de Mats Grorud, ont été élaborées : les rides des personnes âgées creusées, les yeux étonnés des jeunes ciselés (en bille de verre), les baraques du camp de réfugiés fabriquées…

Avant même de raconter l’histoire de Wardi , jeune Palestinienne qui vit dans le camp beyrouhtin de Bourj El Barajneh, il faut souligner l’émotion visuelle que procure le film, entre esthétique naïve et rigueur documentaire.

A travers le regard d’une jeune fille, cet ovni jeune public (à partir de 10 ou 11 ans) plonge dans l’histoire d’une famille palestinienne : celle-ci a été chassée de son village en 1948, au moment de la création de l’Etat d’Israël, et depuis lors est installée dans le camp.

A 11 ans, Wardi réalise que son arrière grand-père adoré, Sidi, a perdu la joie de vivre. Le vieil homme a compris qu’il ne reverra jamais sa maison, dont il confie la clé à Wardi. Celle-ci cherche à lui rendre un peu espoir : elle se met à discuter avec son grand-père, son grand-oncle, sa tante, etc., pour comprendre d’où ils viennent, elle et les siens. Cl. F.

« Wardi », film d’animation norvégien, français et suédois de Max Grorud ( 1 h 30).