Arte, jeudi 28 février à 20 h 55, minisérie

Thanksgiving a le charme opaque de la citation de Patrick Modiano qui ouvre cette minisérie : « Quand on aime quelqu’un, il faut accepter sa part de mystère… Et c’est pour ça qu’on l’aime. »

L’intrigue de ce long film monté sous forme de trois épisodes prend corps au sein d’une start-up qui, spécialisée dans la cyber­sécurité, est en passe de créer un antivirus parmi les plus puissants qui soient. Vincent, cofondateur de cette petite boîte informatique, vit depuis vingt ans à Paris avec Louise, sa femme, d’origine américaine, mère de leurs deux jeunes enfants. Elle-même vient de lancer un site de location d’appartements dans les quartiers les plus huppés de la capitale.

Vincent apparaît plutôt introverti et solitaire, quand sa femme vit entourée d’une communauté de compatriotes installés à Paris. Nous découvrons ce couple alors que chacun des conjoints va se voir happé dans un engrenage différent, se replier sur une dynamique personnelle, et continuer de vivre sans rien laisser paraître… sans doute pour soustraire l’autre au doute, à l’inquiétude ou au danger.

Le logiciel développé dans le plus grand secret par Vincent est piraté par la concurrence asia­tique peu de temps avant d’avoir pu être commercialisé. Ce qui ­entraîne Vincent et sa start-up dans une affaire d’espionnage industriel à laquelle vont s’intéresser les services du renseignement français : sa famille et son entourage vont voir leurs agendas, leurs fréquentations et leurs ordinateurs fouillés en leur tréfonds.

« Métaphore de l’intime »

Les secrets et silences de Vincent et Louise vont alors instiller un inquiétant poison dans leur relation de couple ; et, surtout, vont insuffler des doutes dans l’esprit du spectateur, qui va peu à peu percevoir que le personnage le plus intrigant, de Vincent et de Louise, n’est peut-être pas le premier.

Dans son premier long-métrage, Espion(s) (2009), Nicolas Saada, le réalisateur de cette minisérie coécrite avec Anne-Louise Trividic, explorait déjà les jeux de masques et de dupes qui forment la trame subtile et élégante de Thanksgiving. Prenant son temps, s’appuyant sur une intense économie de moyens, le réalisateur nous déplace dans un Paris souvent peu filmé et met en scène des acteurs à la hauteur de la sensibilité de son projet, qu’il s’agisse de Grégoire Colin (souvent vu chez Claire Denis) ou de la Canadienne Evelyne Brochu (Orphan Black, Tom à la ferme).

Lire la critique d’« Espion(s) » : Amants de fortune sous haute surveillance

Maîtrisé de bout en bout – jusqu’à l’extraordinaire scène finale, d’une ironie mordante et glaçante à la Hitchcock –, Thanksgiving parvient à fondre en un même fleuve le suspense du film d’espionnage et les enjeux d’un couple soumis ­à la non-communication et contraint de se réinventer. Les références principales de Nicolas Saada, explique-t-il, sont la série La Taupe, de la BBC, et le film Scènes de la vie conjugale, d’Ingmar Bergman. « Pour moi, le récit d’espionnage est une métaphore de l’intime, ajoute le réalisateur. Je crois qu’on ne connaît jamais vraiment les gens avec qui on vit. Même lorsqu’on partage une longue histoire, il reste une dose de secret, liée à la solitude de chacun. »

Thanksgiving, minisérie de Nicolas Saada. Avec Grégoire Colin, Evelyne Brochu, Hippolyte Girardot, Stephen Rea (Fr. 2018, 3 × 48 min). Disponible jusqu’au 30 mars. www.arte.tv