France Culture, à la demande, documentaire

Pour évoquer Amos Oz, il faut se souvenir. De ses livres, évidemment. De ses prises de position politiques, sans doute. De l’homme, aussi. Son regard perçant et mélancolique, son intelligence exigeante et fine, sa géné­rosité quand, alors que sa femme – Nili, avec laquelle il eut trois enfants – préparait une collation, il emmenait ses invités voir le soleil se coucher dans le désert du Néguev, à Arad.

L’écrivain, mort le 28 décembre 2018, auquel France Culture consacre quatre émissions à podcaster, y habita de longues années. Et c’est en cela que la parole de Jean Mattern (2e épisode) est précieuse. Avec beaucoup de justesse, l’auteur du Bleu du lac (Sabine Wespieser, 2018), qui fut l’un des principaux éditeurs d’Amos Oz en France, évoque l’homme, son rapport quasi sensuel aux mots, et son attachement à la terre d’Israël.

C’est à Jérusalem qu’Amos Oz voit le jour en 1939 – comme le rappelle, lors du premier épisode, le psychanalyste Marc Laurent. Né dans une famille d’intellectuels, il sera tout à la fois triste et en colère quand sa mère met fin à ses jours, à 38 ans, « à la fleur de l’âge », pour reprendre le titre de l’un des plus beaux textes de Samuel Joseph Agnon (Gallimard, 2003), lequel, aux côtés d’Anton Tchekhov et de Sherwood Anderson, est sans doute l’auteur qui a le plus compté pour l’écrivain en devenir qu’est alors Amos Oz.

Rêveur et pragmatique

Peu de temps après (il n’a alors que 15 ans), ce dernier décide de quitter Jérusalem et abandonne le nom de Klausner (« reclus » en allemand), au profit d’« Oz » (« force » en hébreu). Au kibboutz Houlda, et après avoir tenté de devenir « un pionnier socialiste sans états d’âme », Amos Oz commence à écrire. Comme un géologue, il fouille les profondeurs de la langue pour en rapporter des trésors cachés. Ceux de la Bible et du Talmud, comme tous le rappellent. Auteur d’une vingtaine de romans et de recueils de nouvelles, Amos Oz – et c’est l’objet du troisième épisode – fut aussi un personnage public, prenant régulièrement la plume pour faire entendre sa voix sur le conflit israélo-palestinien.

Tout comme l’écrivain Avraham B. Yehoshua, qui intervient dans cet épisode, Amos Oz fait partie de la génération dite « de l’Etat », née au moment de la création d’Israël. Grand rêveur, l’écrivain était néanmoins un pragmatique : la paix, chemin fait de sacrifices et de renoncements, ne pouvait s’obtenir qu’au prix d’un « divorce » entre les deux Etats.

Lire l’entretien avec Gilles Rozier sur la mort d’Amos Oz  : « Aujourd’hui, en Israël, ceux qui partagent les opinions d’Amos Oz semblent terrassés »

Comme le souligne Gilles Rozier – écrivain, traducteur et fondateur, avec Anne-Sophie Dreyfus, des éditions de l’Antilope –, Amos Oz avait ce remarquable « souci de l’autre », se mettant dans ses « chaussures », pour tenter de le comprendre. « Ne rien expliquer, mais prononcer juste » : ces mots du poète Philippe Jaccottet – cités par le poète et essayiste Olivier Barbarant dans une lumineuse intervention (épisode 4) – pourraient s’appliquer à Amos Oz qui, avec netteté et précision, disait ce qu’il en était du monde, ­extérieur et intime. Aussi est-il dommage que, lors des quelques archives sonores diffusées, sa voix, si belle et émouvante, soit recouverte par celle de ses ­traducteurs.

La Compagnie des auteurs : Amos Oz, de Matthieu Garrigou-Lagrange, à écouter sur Franceculture.fr et sur iTunes. Toute l’œuvre d’Amos Oz a été publiée chez Gallimard.