France 5, dimanche 3 mars à 22 h 40, documentaire

Pour le sénateur (LRM) François Patriat : « Se planter au Salon peut coûter cher électoralement. » Tous les politiques le savent. Pourtant, depuis sa création, en 1964, tous se rendent au Salon de l’agriculture, qui ferme ses portes dimanche à Paris. Rien de masochiste dans cette démarche, comme le montre le documentaire de Delphine Prunault, qui révèle – et c’est là tout son intérêt – les deux niveaux d’enjeux de ce rituel. Le niveau visible, folklorique et électoraliste de court terme, qui se joue devant les stands ; et la bataille de pouvoir qui se tient « à l’étage », loin des caméras, et qui peut avoir des conséquences bien au-delà d’un simple mandat.

A tout seigneur tout honneur : Jacques Chirac, roi incontesté du Salon, a très tôt compris tout le parti qu’il pouvait tirer de ce rendez-vous avec la ruralité. Qu’il soit ministre de l’agriculture, président, premier ministre, il n’a pas son pareil pour caresser les vaches, flatter les producteurs – « Ce ne sont pas des bovins, mais des chefs-d’œuvre ! » –, enfourner les parts de fromage, boire les verres de lait, de bière, de vin, comme le souligne, non sans ironie, François Morel au commentaire. Résultat : l’élu corrézien est acclamé, ovationné.

Passage obligé

Pour d’autres, le Salon est un passage obligé. Le président Emmanuel Macron, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, ou la candidate Ségolène Royal ne s’en sortent pas trop mal. On ne peut pas en dire autant des grands bourgeois Valéry Giscard d’Estaing et Edouard Balladur. François Hollande ne veut, lui, retenir que le côté bon enfant de ses visites. Alors qu’il n’a pas été épargné par les violences et les quolibets, il assure que, « heureusement, on n’entend pas tout ». Nicolas Sarkozy, à l’inverse, a l’ouïe fine. En février 2008, à un homme qui persifle « Ah non, touche-moi pas ! Tu me salis », il rétorque : « Casse-toi alors, pauv’ con. » La petite phrase lui coûtera très cher.

Casse toi pauv' con ! Nicolas Sarkozy
Durée : 00:46

D’autres payent de leur personne et ressortent de l’épreuve traumatisés, comme ces deux femmes ministres de l’agriculture, catapultées dans un milieu machiste pour effectuer le sale boulot – faire baisser l’usage des pesticides et des engrais pour Dominique Voynet, rien de moins que « casser le monopole de la toute-puissante FNSEA », la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, pour Edith Cresson. Au siège du syndicat, cette dernière sera accueillie par une banderole : « Edith on t’espère meilleure au lit qu’au ministère ».

« On a fait de l’agitation »

Tout n’est pas révélé, mais beaucoup est dit. Sur le pacte passé en 1972 entre le syndicaliste paysan Michel Debatisse et le ministre de l’agriculture, Jacques Chirac, sur le « nettoyage » organisé de la FNSEA, sur la naissance de la cogestion – « Je n’étais pas à genou devant Jacques Chirac », affirme aujourd’hui Luc Guyot, à la tête de la FNSEA de 1992 à 2001. Sur les visites de De Gaulle, Pompidou, du candidat Mitterrrand, sur celles de Jospin, victime de jets d’œufs, sur la Confédération paysanne et le phénomène José Bové, qui avoue : « Oui, on a fait de l’agitation. »

Ainsi, pour de claires et d’obscures raisons, présidents, candidats, ministres et élus iront encore longtemps « au Salon », lieu hautement symbolique d’une France paysanne idéalisée, faisant fi de l’exode rural, de la vache folle, des crises du lait, du porc, neuf jours par an.

Salon de l’agriculture, la politique en campagne, réalisé par Delphine Prunault, raconté par François Morel (Fr, 2019, 52 min). www.france.tv/france-5