Un membre de la police ferrovière de la région Ile-de-France, le 4 septmebre 2017. / ALAIN JOCARD / AFP

Au milieu de la ribambelle de jeunes délinquants et de cas sociaux, voleurs de sacs, détenteurs d’armes et dealers de drogue multirécidivistes, qui font le quotidien des comparutions immédiates au tribunal correctionnel de Paris, Christian P., casier judiciaire vierge, jurait un peu samedi 2 mars du haut de ses 65 ans, avec ses tempes grisonnantes et le veston bleu qu’il porte habituellement au conseil départemental des Yvelines où il achève sa carrière.

Du 16 au 27 février, il a été apposé au marqueur une cinquantaine de tags, dont certains à caractère antisémite, sur les murs d’une station et les parois de trois rames du RER C, entre Juvisy, Paris et Versailles, où il a été interpellé en flagrant délit, mercredi à l’aube. Samedi, il n’était jugé que pour « dégradations de biens d’utilité publique » : le caractère antisémite de certaines inscriptions a fait l’objet d’une « disjonction pour poursuite d’enquête », rapporte une source judiciaire, et rien n’a encore été décidé au sujet des suites judiciaires concernant ce chef de prévention.

En attendant un éventuel second procès pénal, Christian P. a été condamné à six mois de prison avec sursis, samedi soir. Peine assortie d’une obligation d’indemniser la SNCF – le montant, plusieurs milliers d’euros, sera connu après l’audience civile, le 14 mai prochain – et d’une obligation de soins, « car le tribunal estime que vous avez probablement des problèmes psychologiques qu’il faut régler », a conclu le président de la 23e chambre, au terme d’une audience d’un quart d’heure parfois lunaire.

« Je n’ai absolument rien contre les juifs »

Les premiers tags ont été découverts le 16 février à la station Musée d’Orsay. « Vous souvenez-vous de ce que vous avez écrit ?, demande le tribunal.

- Euh… “Macron démission”, répond l’homme, mal assuré.

- C’était un peu plus virulent.

- Oui, euh… J’avais vu un reportage sur les “gilets jaunes” où quelqu’un avait écrit “Macron au four”, alors…

- Il y avait aussi “Baise ta vieille au lieu de baiser les vieux”, “Macron à Dachau”, “Juden Raus” [les juifs dehors], “Nique Castaner”. On est quand même sur autre chose que “Macron démission”. »

Quid des croix gammées ? « J’ai commencé à mettre des croix gammées parce que c’était trop long de mettre des phrases, et je voulais trouver un symbole de révolte. Remarquez, j’aurais pu faire la faucille et le marteau.

- Vous avec dit aux enquêteurs : “Ça n’a rien à voir avec Hitler et les juifs.”

- Non, et je sais par ailleurs que certains auteurs comme Raymond Aron et Jean-François Revel ont écrit que la croix gammée était à l’origine la svastika, et que c’était un symbole utilisé en Russie pendant la révolution.

- Mais aujourd’hui, vous avez conscience qu’il s’agit d’un symbole nazi ?

- Oui, oui, tout à fait, oui. Mais comme je l’ai dit aux enquêteurs, je n’ai absolument rien contre les juifs.

- Pourquoi “Juden Raus” ?

- J’ai vu ça écrit dans un reportage dans Paris Match, mais je savais pas ce que ça voulait dire.

- Vous ne savez pas ce que ça veut dire ?

- Bah “Juden”, ça veut dire “juif”.

- Ah, donc vous savez.

- Oui, mais j’ai pas fait allemand

- Et “Macron à Dachau”, “Macron au four” ?

- J’ai vu ces inscriptions au moment des “gilets jaunes”. »

Le prévenu s’agrippe au micro à chaque fois qu’il s’exprime, d’un ton hésitant, désarmant de maladresse : « Je regrette profondément mon geste. Je suis prêt à rembourser la SNCF, et je présenterai par écrit mes excuses au grand rabbin de France et au président de la SNCF. »

« Coup de folie »

Ce fonctionnaire sans histoire chargé du budget au conseil départemental des Yvelines à Versailles, titulaire d’un DESS de droit public, 2 700 euros de salaire (avant impôts), vit à l’autre bout du RER C, à Brétigny-sur-Orge (Essonne), avec sa femme et un fils handicapé à 85 %, qui nécessite un accompagnant au quotidien et entraîne beaucoup de frais non remboursés par la Sécurité sociale. Auxquels il faut ajouter ceux dus à l’hospitalisation de sa mère en unité de soins longue durée.

« Je suis dans une situation financière difficile, je suis influencé par les mouvements des gilets jaunes, je me suis révolté », explique Christian P. « Les faits sont consternants, ils sont une insulte à l’Histoire, à un peuple qui a souffert, à nos valeurs. Et dangereux, compte tenu du contexte social agité », s’émeut la procureure, néanmoins contrainte de s’en tenir au chef de la prévention au moment de réclamer six mois avec sursis : « Ce qui lui est reproché, ce sont des dégradations de biens d’utilité publique, au préjudice de la SNCF et des passagers qui n’ont pas à assister à ce genre de spectacle. » Son avocate « ne cache pas » qu’elle s’« interroge sur les raisons » qui ont poussé son client à de tels actes, et plaide le « coup de folie ». « Il n’y a pas eu d’expertise psychiatrique dans ce dossier, alors que la question se pose », concède le tribunal.

« Je ne suis pas antisémite », tient à préciser une nouvelle fois le prévenu. La perquisition à son domicile, où son ordinateur et sa bibliothèque ont été fouillés, n’a en tout cas rien révélé permettant de l’affirmer. Et puis, assure-t-il en conclusion, comme gage de sa bonne foi, « j’ai été détaché à l’office national des anciens combattants dans l’Essonne. Dans ce cadre, j’ai organisé des expositions photos pour lutter contre l’antisémitisme, en collaboration avec M. Serfaty, le rabbin de Ris-Orangis. » Sa condamnation ne sera pas inscrite au bulletin B2 de son casier judiciaire, de sorte qu’il pourra conserver son emploi.