Le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, ici le 23 novembre 2017 à Alger. Elu en 1999, son état de santé l’a empêché de s’adresser directement aux Algériens depuis 2013. / RYAD KRAMDI / AFP

Editorial du « Monde ». C’est une première : dimanche 3 mars, le président Abdelaziz Bouteflika a publiquement reconnu la légitimité du vaste mouvement de protestation pacifique qui a déferlé dans les rues de plusieurs villes d’Algérie depuis le 22 février, et dont il a salué le « civisme ».

Dans une lettre diffusée par son directeur de campagne, après avoir confirmé sa candidature à un cinquième mandat, le chef de l’Etat algérien, dont les compatriotes ignorent même s’il se trouve en Algérie ou toujours hospitalisé en Suisse, s’est affirmé prêt à « assumer la responsabilité historique de la concrétisation de l’exigence fondamentale » des manifestants, « c’est-à-dire le changement du système ».

Pour un homme si accroché au pouvoir qu’à 82 ans il n’a toujours pas préparé sa succession, c’est un pas non négligeable : élu en 1999, le président envisageait de rester cinq ans de plus à la tête de son pays, malgré un état de santé qui l’a empêché de s’adresser directement aux Algériens depuis 2013. Mais M. Bouteflika veut gagner encore un peu de temps. Il a assorti ce geste d’une proposition : s’il est élu le 18 avril, il s’engage à convoquer une conférence nationale chargée de préparer une élection présidentielle anticipée, à laquelle, cette fois, il ne serait pas candidat. La concession, c’est qu’il n’y aura pas de sixième mandat Bouteflika.

La confiance est inexistante

C’est trop peu et c’est trop tard. Pourquoi, s’il est convaincu que les Algériens veulent « changer de système », ne pas alors organiser cette conférence nationale dès maintenant, en annonçant un report du scrutin du 18 avril ? Tout porte à croire que, paralysé depuis vingt ans, le régime ne sait pas comment remplacer M. Bouteflika et cherche à sauver ce qui peut encore l’être, en espérant organiser un processus de transition à sa main, parfaitement contrôlé.

Pour que la proposition de M. Bouteflika soit réalisable, il faudrait que les Algériens aient confiance dans sa volonté de la mener à bien. Ce qui se passe dans la rue, jour après jour, et même la nuit depuis dimanche soir, montre bien que cette confiance est inexistante. Aussi importante que la demande d’ouverture politique, une revendication des manifestants, en particulier, trahit cette fracture : la revendication de dignité, perceptible à travers tous ces témoignages qui évoquent « l’humiliation » imposée par un dirigeant inamovible, incapable de venir déposer sa candidature lui-même.

Les centaines de milliers d’Algériens descendus dans la rue l’ont fait jusqu’ici avec une remarquable retenue, en évitant tout débordement. La même retenue est notable du côté des forces de l’ordre, qui ont visiblement reçu la consigne de ne pas se livrer à une répression aveugle. L’Algérie retient son souffle : il est rare, dans ce genre de situation, que cette attitude responsable se prolonge très longtemps. Il faut trouver une issue à l’impasse algérienne.

Puisqu’il est conscient de la légitimité du mouvement de protestation populaire, le président Bouteflika devrait aller jusqu’au bout de son raisonnement et renoncer dès maintenant. La convocation d’une conférence nationale, réunissant tous les partis politiques, y compris ceux qui sont au pouvoir, susceptibles de participer à des élections libres et justes, est tout à fait envisageable. Accepter de mettre en place un processus historique de transition négociée serait le meilleur service que puisse rendre Abdelaziz Bouteflika à ses concitoyens : une réponse à la mesure de leur « civisme ».

Notre sélection d’articles pour comprendre la contestation en Algérie

Depuis le 22 février, le mouvement de protestation le plus important des deux dernières décennies a poussé des dizaines de milliers d’Algériens dans les rues pour exprimer leur opposition à un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika avant l’élection présidentielle prévue le 18 avril 2019.

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