Les sportifs français défilent aux Jeux olympiques de Pyeongchang, le 9 février 2018, derrière leur porte-drapeau, Martin Fourcade. / ROB SCHUMACHER / Rob Schumacher-USA TODAY Sports

Et si, en plus de courir, sauter, frapper, ils pouvaient aussi… parler ? C’est ce à quoi certains sportifs prétendent, en tout cas, de plus en plus fort et de plus en plus nombreux. La création, le 13 février, d’un mouvement de défense des sportifs baptisé « Global Athlete » participe d’un mouvement plus large. Lassés de voir des costumes sombres diriger pour eux, de subir les violences d’un système reposant souvent sur la soumission à l’entraîneur, les athlètes se structurent et réclament plus de place dans les instances de décision.

Ainsi des joueurs de rugby qui, à travers leur syndicat, ont collectivement pris la parole le 28 février pour s’élever contre un projet de nouvelle compétition.

Ainsi des sportifs allemands qui ont obtenu, la veille, une décision favorable face au Comité international olympique (CIO) leur laissant plus de possibilités de mettre en valeur leurs sponsors durant les Jeux olympiques.

Ainsi de la présidente du comité des athlètes de l’Agence mondiale antidopage (AMA), la Canadienne Beckie Scott, qui à l’automne démissionnait de façon tonitruante de la commission ayant voté la réintégration de l’Agence russe antidopage. Dans la foulée, l’ancienne championne olympique de ski de fond dénonçait dans une interview le comportement « irrespectueux » et « inapproprié » de dirigeants de l’AMA, « représentatifs de l’attitude générale de dénigrement et de rejet de la voix des sportifs ».

« Loin derrière d’autres secteurs de la société »

En matière d’antidopage, certains athlètes ont le sentiment d’être traités plus sévèrement, lorsqu’il leur faut faire preuve de la plus grande prudence en se soignant, qu’une nation ayant commis un dopage systématique pendant de longues années. Cette apparente injustice a poussé trois médaillés olympiques et para-olympiques (le cycliste britannique Callum Skinner, le biathlète suédois Sebastian Samuelsson et l’haltérophile britannique Ali Jawad) à réclamer une plus grande place au sein du comité exécutif.

« La voix des sportifs devrait être renforcée au-delà des moyens existants lorsqu’il existera un mécanisme de représentation suffisant », leur a répondu l’AMA, tout en accordant une place à un sportif dans chacune de ses commissions.

De fait, il est autant de mouvements de sportifs que de courants de l’écologie politique en France. Entre les comités nationaux d’athlètes, la commission d’athlètes du CIO et les syndicats par sport, les instances ne manquent pas d’interlocuteurs. Et se passent, le plus souvent, volontiers de leur avis. Global Athlete, dirigé par l’ancien numéro deux de l’Agence mondiale antidopage Rob Koehler, n’a fait qu’ajouter à la confusion.

Financé par une fondation nommée Fair Sport, proche des opinions de l’influente Agence américaine antidopage (Usada), Global Athlete « n’est pas mandatée, ne représente personne, n’a d’alliance avec aucune fédération ni mouvement olympique, se targue Rob Koehler. Le mouvement sera ce que les athlètes voudront en faire, et ceux qui le financent ne seront pas partie aux décisions ».

« La gouvernance du sport est loin derrière d’autres secteurs de la société en termes de consultation de ses participants, estime le président de Global Athlete, le champion olympique de cyclisme sur piste Callum Skinner. Les voix des athlètes ne devraient pas être tues ni manipulées à des fins personnelles. »

Dans le viseur du Britannique, la commission des athlètes du CIO, souvent jugée aux ordres de l’institution basée à Lausanne. « Ses membres doivent prêter serment à la charte olympique de protéger les intérêts du CIO, donc leurs intérêts sont plutôt évidents, persifle Paulina Tomczyk, secrétaire générale de EU Athletes, fédération européenne des syndicats de sportifs. Sa présidente, la nageuse Kirsty Coventry, est aussi ministre du sport du Zimbabwe. Ils se réunissent deux ou trois fois par an. Ils ne nous demandent jamais rien. En clair, ce n’est pas, pour eux, un job à plein temps. »

« Comités d’athlètes cosmétiques »

« Les comités d’athlètes sont cosmétiques, confirme la sociologue du sport Lucie Thibault, doyenne de l’université d’Ottawa ayant longtemps travaillé sur ces questions. On leur donne un endroit pour parler entre eux mais au bout du compte, les instances prendront la décision qui correspondra à leurs intérêts financiers. »

Au-delà des querelles de chapelle, la prise de parole de sportifs reste largement un phénomène occidental, en témoigne l’identité des huit premiers sportifs membres de Global Athlete.

A EU Athletes, Paulina Tomczyk constate la difficulté d’obtenir des sportifs qu’ils s’impliquent dans leurs syndicats et osent réclamer plus de droits. « Les sportifs sont très concentrés sur leurs objectifs personnels, et n’ont qu’un rêve, aller aux Jeux olympiques. Se dresser face à leur entraîneur ou leur fédération implique de se mettre en danger, d’être potentiellement laissé de côté », explique-t-elle.

Le manque de temps, l’obsession de préserver son énergie et le jeune âge sont autant de facteurs explicatifs de l’absence d’implication politique des sportifs.

Les scandales d’agressions sexuelles dans la gymnastique américaine et dans le sport sud-coréen, qui ont suscité une grande émotion dans les deux pays, créent toutefois un climat favorable à une libération de la parole. La mise en relation des sportifs par le biais des réseaux sociaux a aussi accéléré ce changement d’ère.

« Les athlètes ont toujours eu du pouvoir mais ne s’en sont jamais rendu compte, observe Lucie Thibault. Ils commencent à réaliser que leurs idées sont partagées par d’autres athlètes dans d’autres sports, d’autres pays, d’autres compétitions. Les affaires de corruption dans certaines fédérations internationales, où des dirigeants ont pris de l’argent qui aurait dû revenir indirectement aux athlètes, ont aussi été un catalyseur. Avec la commercialisation du sport, les fédérations ont commencé à prendre des décisions en faveur des sponsors ou des télévisions plutôt qu’en faveur des athlètes, devenus secondaires. »

A l’avenir, fédérations et sportifs pourraient s’inspirer des ligues professionnelles américaines, où les syndicats sont pleinement associés aux négociations et où propriétaires de franchises et athlètes n’ont jamais été aussi riches.