Ouverture du Forum sur la coopération sino-africaine, à Pékin, le 3 septembre 2018. / POOL New / REUTERS

Chronique. Le président chinois Xi Jinping se rendra en France à la fin du mois de mars. Juste après une étape en Italie au cours de laquelle les oreilles du Trésor français devraient siffler : Xi Jinping est en effet sur la même longueur d’onde que Luigui Di Maio lorsqu’il s’agit de critiquer le franc CFA. Mais la méthode chinoise est bien différente de celle du vice-président du Conseil italien. Officiellement, en effet, la Chine n’est pas entrée dans la polémique autour de la monnaie commune africaine héritée de la colonisation française. Elle se garde bien d’émettre un quelconque jugement public alors que, dans le même temps, elle pousse à l’internationalisation de sa propre monnaie, le yuan, qui a déjà cours dans plusieurs Etats africains. Quatorze d’entre eux « souhaitent » même voir le billet rouge devenir une devise de réserve selon Pékin.

Certaines des plus importantes économies du continent comme le Nigeria et l’Afrique du Sud ont déjà signé des accords d’échange de devises avec la Chine et la disparition du franc CFA ne pourrait que servir ses intérêts. Le dossier sera sur la table des entretiens entre le président français, Emmanuel Macron, et son homologue chinois, Xi Jinping. Un dossier dans lequel Pékin est en position de force. Car le mariage à trois entre Paris, Pékin et le continent africain n’a pas tourné à l’avantage de la France.

« Une menace pour l’influence française »

L’Afrique représente aujourd’hui 15 % des investissements de la Chine dans le monde et au moins dix mille entreprises chinoises sont installées sur le continent. Dans le pré carré français, l’empire du Milieu taille des croupières aux entreprises tricolores en Côte d’Ivoire, au Cameroun ou encore en Algérie. Là, sur les 500 milliards de dollars (440 milliards d’euros) d’investissements publics dépensés depuis l’arrivée au pouvoir du président Bouteflika, les sociétés chinoises en auraient capté 80 milliards, soit bien plus que la France.

Il y a tout juste un an, lors de la visite en Chine du président Macron, le dossier africain était déjà sur la table. Mais, depuis, à part le soutien confirmé de la Chine au G5 Sahel et aux opérations françaises antiterroristes, rien n’a bougé sur le plan économique. « Il y a évidemment une concurrence, voire une compétition entre la Chine et la France en Afrique, nous disait alors le professeur Wang Yiwei, du département d’études européennes à l’université Renmin. La présence de plus en plus importante de la Chine en Afrique est une menace pour l’influence française, notamment dans ses anciennes colonies. L’un des objectifs du président Xi Jinping est d’obtenir l’appui de la France à son ambitieux projet des nouvelles routes de la soie qui concerne en grande partie le continent africain. » Mais ce soutien n’est jamais venu et la France appelle même la Chine à des échanges plus équilibrés.

Le fameux accord tripartite France-Chine-Afrique, qui devait être signé en grande pompe en 2016 au Sénégal, n’a jamais vu le jour. Reporté, puis annulé, il se résume aujourd’hui à la feuille de route signée en juin 2015 par Li Keqiang, le premier ministre chinois, et Manuel Valls, alors chef du gouvernement français. Une déclaration conjointe sur « les investissements en marché tiers » qui devait ouvrir la voie à un partenariat franco-chinois plus large sur les marchés étrangers, à commencer évidemment par l’Afrique.

Paris y voyait alors de belles perspectives pour ses entreprises. Mais, depuis, le fonds dévolu à ce beau projet s’est réduit comme peau de chagrin pour atteindre 300 millions d’euros, soit le quart à peine de ce qui était initialement annoncé. Une goutte d’eau dans l’océan des échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique, qui ont frôlé les 170 milliards d’euros en 2018. D’ailleurs, Chinois et Français ne se sont jamais entendus sur la conclusion de projets communs en pays tiers. Seuls quatre accords ont été signés en trois ans, mais aucun en Afrique.

Désintéressement ou impuissance

Aujourd’hui, le partenariat entre la France et la Chine sur le continent se réduit aux accords d’entreprises en Afrique de l’Ouest, échappant à la main du Quai d’Orsay. C’est le cas de Suez, Bolloré ou Eiffage associés à des entreprises chinoises dans la construction d’infrastructures. Preuve de ce désintéressement ou de cette impuissance, c’est selon, François Barateau, ambassadeur en charge des partenariats franco-chinois en Afrique depuis 2015, a été nommé directeur adjoint Afrique et océan Indien au ministère des affaires étrangères. Mais alors qui désormais pour scruter les affaires sino-africaines ? Les ambassades de France en Afrique et en Chine multiplient les notes de synthèse à destination d’une administration centrale qui semble avoir perdu la main.

Emmanuel Macron espère sans doute inverser la tendance en se rendant en Afrique de l’Est du 12 au 15 mars, soit juste avant sa rencontre avec le président chinois. Un heureux hasard pour montrer à l’empire du Milieu qu’il n’est pas seul sur le continent, y compris dans des pays comme l’Ethiopie et le Kenya, les deux étapes du président français, qui n’utilisent pas le franc CFA et avec lesquels la Chine entretient des relations économiques et politiques importantes.

C’est particulièrement le cas de l’Ethiopie dont la Chine a fait un modèle de sa politique d’industrialisation du continent en ouvrant plusieurs zones économiques spéciales et plusieurs usines employant des ouvriers locaux. Quant au Kenya, la Chine est son premier créancier, finançant notamment ses importants travaux d’infrastructures dans le domaine ferroviaire. Le pays est une tête de pont du grand projet chinois des nouvelles routes de la soie qui prévoit notamment une série de grands travaux sur le continent.

La France n’est pas la première à s’inquiéter – avec retard – de cette Chinafrique en marche. Washington avait déjà dégainé à la fin de 2018 un projet concurrent aux nouvelles routes de la soie, promettant de reprendre ses investissements en Afrique et de se pencher à nouveau sur le développement du continent. Paris lui emboîterait donc le pas, même si officiellement il ne s’agit pas de répondre à la présence chinoise de plus en plus importante en Afrique, surtout quand les caisses françaises sont bien vides.

Un rééquilibrage de façade

Emmanuel Macron devra cependant garder en mémoire le poids de cette Chinafrique. Depuis dix ans, la Chine est le premier partenaire commercial du continent avec un volume de 150 milliards d’euros d’échange en 2017 et près de 170 milliards en 2018. Paris ne joue pas dans la même catégorie. Si la France est loin derrière la Chine en Afrique de l’Est, elle a pour elle un bilan plus équilibré dans ses échanges commerciaux avec les pays d’Afrique francophone. Il faut noter que Paris achète autant qu’elle vend à l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), composée de huit pays, tandis que la République populaire vend sept fois plus qu’elle n’achète en Afrique de l’Ouest !

Les achats de la Chine à l’UEMOA sont d’une valeur équivalente à ceux effectués par la Grèce, tandis que les achats de la France sont quatre fois plus importants. A l’échelle du continent, plus de 90 % des exportations africaines vers la Chine sont constituées de pétrole, de matières premières brutes minérales et de métaux. Sur les plus de cinquante pays africains dont les données sont disponibles, seule une douzaine s’en sort avec une situation excédentaire dans leurs relations commerciales avec la Chine. Le premier est l’Angola, qui affiche un excédent proche de 20 milliards d’euros avec Pékin, suivi de l’Afrique du sud (9 milliards) et de la République démocratique du Congo (5 milliards).

Mais Pékin a entrepris un rééquilibrage de façade en organisant une série de foires commerciales depuis 2018 afin de promouvoir les produits africains en Chine. La prochaine aura lieu du 18 au 20 juin à Changsha, dans la province chinoise du Hunan. Tout cela s’organise très loin de cette coopération entre la Chine et la France en Afrique dont certainement personne ne voulait, à commencer par le continent africain qui s’est toujours senti tenu à l’écart des négociations.

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica.info, un magazine sur la Chinafrique et les économies émergentes.