Le député (LRM) de la 7e circonscription de Marseille, Saïd Ahamada au débat organisé dans une salle de la mosquée Al Islah de Marseille, le 4 mars. / PATRICK GHERDOUSSI / DIVERGENCE POUR " LE MONDE"

Organiser une étape du grand débat national sur le site d’une mosquée ? L’idée, venue des responsables d’El Islah, le plus vaste lieu de culte musulman de Marseille, a trouvé un relais et un soutien logistique dans l’association culturelle qui partage le même bâtiment. Au marché aux puces, dans le XVe arrondissement, entre snacks hallal et vendeurs de cigarettes de contrebande, ce sont donc les fidèles d’El Islah et les habitués de l’association berbère Amazigh qui étaient conviés à venir « s’exprimer et débattre », lundi 4 mars, en toute fin d’après-midi.

Pas dans la mosquée, au deuxième étage de cet ancien hangar portuaire, mais dans la salle d’Amazigh, juste en dessous, qui reçoit habituellement cours de danse, aides au devoir ou initiations à la laïcité pour adolescents. « Ce n’est pas un débat religieux, mais un débat citoyen ! » insiste Azzedine Aïnouche, le président de l’association qui gère le lieu de culte. Docteur en sciences politiques et imam, cette figure de l’islam marseillais ne cache pas qu’il a convié, au cours de ses prêches, les fidèles à venir s’exprimer. « Parce qu’ils sont aussi des citoyens et qu’ils se retrouvent totalement dans les revendications socio-économiques des gilets jaunes, sans pour autant avoir beaucoup participé à la mobilisation » explique-t-il.

Pour lui, organiser un débat pour la communauté musulmane marseillaise est essentiel, mais il redoute les amalgames « dans un contexte marqué par les polémiques ».

« Des Français à part entière »

Dans l’après-midi, le tweet du sénateur du Rassemblement national (RN, ex-Front national), Stéphane Ravier, élu du secteur voisin, l’a choqué. Le parlementaire y dénonce la tenue de la réunion dans « une mosquée islamiste qui diffuse des textes appelant au djihad, à la haine des mécréants, à la mort des apostats ». « Si des élus s’y rendent, ils se rendront complices du pire » accuse-t-il encore.

Lors du débat dans une salle associative de la mosquée El Islah de Marseille organisée par l’association Acrem et Amazigh, le 4 mars. / PATRICK GHERDOUSSI / DIVERGENCE POUR " LE MONDE"

« Nous ne sommes ni islamistes, ni salafistes, s’indigne Azzedine Aïnouche. On va étudier la possibilité d’une plainte en diffamation. De sa part, c’est totalement électoral. » « Les musulmans sont des Français à part entière et ont parfaitement le droit d’organiser un débat, du moment qu’il est ouvert à tous », rétorque de son côté le député La République en marche (LRM) de la circonscription, Saïd Ahamada, arrivé tôt pour participer aux discussions.

Deux semaines auparavant, un débat organisé par la sénatrice socialiste Samia Ghali avait attiré, non loin, près de 250 personnes. Ce lundi soir, la fréquentation déçoit. Il faut attendre la fin de la prière, à 19 heures, pour voir la salle Matoub Lounes, du nom du chanteur berbère assassiné, se remplir un peu. Une cinquantaine de personnes, presque exclusivement des hommes, prend finalement place.

« En majorité des représentants d’associations culturelles et cultuelles, tous d’un certain âge » détaille, œil aiguisé, le sociologue Vincent Geisser, spécialiste de l’islam marseillais. Moufida Ksouri, « femme, épouse, mère, citoyenne de France », elle, porte son gilet jaune. Au dos, est écrit « Révolution maintenant ».

Moufida Ksouri, « femme, épouse, mère, citoyenne de France », lors du débat dans une salle associative de la mosquée El Islah de Marseille organisée par l’association Acrem et Amazigh, le 4 mars. / PATRICK GHERDOUSSI / DIVERGENCE POUR " LE MONDE"

Cette quinquagénaire marseillaise est venue en voisine avec son compagnon, Gilles Lavero, fidèle de la mosquée depuis 30 ans. Ensemble, ils gèrent une microsociété de nettoyage, « dans les cités les plus pourries où personne ne veut aller » explique le mari, qui arbore lui aussi son gilet jaune. Moufida Ksouri dit être là « par curiosité », mais aussi pour « voir si on n’essaye pas de manipuler la communauté musulmane ».

« La précarité que l’on vit ici ? »

Comme un moteur en chauffe, le débat s’ouvre sur les questions d’emploi dans les quartiers nord de Marseille. Une nouvelle fois, la fracture dont souffre la ville en matière de transports publics, d’éducation ou d’inégalités à l’embauche occupe chaque intervention. « Est-ce que les revendications des gilets jaunes sont en adéquation avec la précarité que l’on vit ici ? », s’interroge Abderrahmane Mesbahi, directeur d’une importante association d’aide sociale.

« Dans ces quartiers, les plus filous ouvrent des sociétés de nettoyage, les autres alternent des boulots précaires de livreurs Amazon ou gardiens dans la sécurité », témoigne Malek Menani, 27 ans. Tous dénoncent le « désert en équipements publics » et « l’espace de ségrégation » qu’est devenu le nord de la cité phocéenne. « Chacun donne son exemple personnel, mais où sont vos solutions ? », interroge Tewfik Benchaa, cardiologue venu spécialement d’Aix-en-Provence. Lui propose de « faire porter tout l’effort sur l’éducation, car c’est le seul ascenseur social ».

Au moment de présenter la soirée, les organisateurs avaient évoqué « une deuxième partie consacrée aux grands thèmes qui nous agitent ». Dans le viseur, explique Youcef Mammeri, un des animateurs, « ces problèmes médiatiques sans rapport avec nos problèmes du quotidien, sur lesquels on nous invite perpétuellement à nous positionner ». Sans les nommer, les organisateurs comptent faire surgir une parole sur le sentiment d’islamophobie et les polémiques à répétition, dont la dernière sur le hidjab de course…

« Nous sommes plus français que ceux qui nous dénient notre “francité”. Il faut réaffirmer et faire respecter cela. »

Une pudeur non nécessaire. Ici, tous partagent le sentiment d’être stigmatisés pour leur religion. Et pointent dans un même élan, médias et politiques. « Qui taxe les Corses, les Arméniens, les Juifs de communautaristes ? Pour les Arabes, les Comoriens, c’est la critique immédiate », tonne Moussa, franco-sénégalais à la voix qui porte. « Tous les musulmans, on les met dans le même sac, s’indigne Kader, ancien cadre dans le logement social. Nous sommes plus français que ceux qui nous dénient notre francité. Il faut réaffirmer et faire respecter cela. »

Azzedine Aïnouche raconte, lui, comment sa banque a fermé son compte et ceux de ses trois enfants sans explication. « Cela ne peut être qu’à cause de mes activités associatives à la mosquée » s’émeut-il, en demandant au député Ahamada d’alerter le préfet. Avant de filer assister à un autre débat, l’élu LRM assure qu’il relaiera les revendications du soir et glisse son propre message : « Si on veut être entendus, cela passe par le bulletin de vote. Personnellement, je dirais que j’ai réussi mon mandat si, lors de la prochaine législative, l’abstention baisse de manière significative dans ces quartiers. »