En avril 2018, les spectateurs ont découvert dans une scène postgénérique d’Avengers 3 : Infinity War que les espoirs des super-héros et de l’humanité reposaient désormais sur une nouvelle héroïne : Captain Marvel. Elle devra donc les secourir dans le dernier épisode de leurs aventures, Endgame, qui doit sortir au printemps. Avant cela, elle aura pour mission de sauver la mise des studios Marvel en matière de représentation féminine. En effet, Carol Danvers, son identité civile, est la première super-héroïne de l’Univers cinématographique Marvel à obtenir son film, en salles mercredi 6 mars.

Captain Marvel - Bande-annonce officielle (VOST)
Durée : 02:28

Un choix qui pourrait paraître incongru : Captain Marvel est peu connue en dehors des lecteurs assidus de comics. Elle est pourtant la femme la mieux indiquée pour cette importante mission, la même qui a été endossée l’an dernier par Wonder Woman chez DC, le principal concurrent de Marvel.

Carol Danvers occupe une place intéressante au sein du catalogue Marvel : bien plus qu’un symbole féminin et féministe, les scénaristes ont pris soin de travailler une personnalité complexe dès ses débuts, ce qui est loin d’être le cas d’autres super-héroïnes de sa génération, comme Jean Grey ou Wanda Maximoff, plus lisses à leurs prémices.

Ce personnage a mené des brillantes carrières de journaliste et de pilote de l’Air Force. Ses supers pouvoirs, hérités des soldats extraterrestres Kree, sont immenses. Protectrice de la Terre, elle défend les humains contre des invasions extraterrestres. Ses histoires intimes sont également riches. Au fil des chapitres, Captain Marvel s’est construite autour du mystère de ses souvenirs tantôt terrestres, tantôt extraterrestres. Elle a dû aussi surmonter des problèmes d’alcoolisme, comme Tony Stark (Iron Man), qui va d’ailleurs l’épauler. Plus récemment, elle se débat contre son défunt père, qui trouvait inutile qu’une fille poursuive des études.

La première apparition de Captain Marvel en 1967. / MARVEL COMICS

Un héros partagé par deux éditeurs

Avant d’être Carol Danvers, Captain Marvel était, sans surprise, un homme. Et contrairement à ce que son nom pourrait laisser penser, il est né en 1940 non pas dans la maison d’édition homonyme (qui d’ailleurs ne s’appelait pas encore Marvel), mais chez un autre éditeur, Fawcett Comics. Au-delà du patronyme d’un grand éditeur de BD, marvel signifie simplement « merveille » en anglais, un nom parfait pour un héros qui devait concurrencer à l’époque Superman.

Dans les années cinquante, quand Fawcett fait faillite, une bataille s’engage autour de ce fameux Captain Marvel. La maison d’édition National Allied Publications (qui deviendra DC) obtient le droit d’exploiter le personnage de Captain Marvel à condition de lui donner un autre nom : Shazam. Ce dernier aura d’ailleurs droit à son propre film au mois d’avril.

SHAZAM Bande Annonce (Trailer VOSTFR) (2019)
Durée : 03:07

Martin Goodman, le patron de ce qui deviendra plus tard Marvel Comics, récupère quant à lui le nom du super-héros. Quelques années plus tard, il demande à Stan Lee et Gene Colan de travailler le personnage. Ils le font apparaître en décembre 1967 dans le 12e numéro de Marvel Super-Héros.

En pleine guerre froide, Marvel recourt dans plusieurs de ses séries à deux races extraterrestres qui symbolisent la peur de l’invasion. Les terribles Skrulls, capables d’adopter n’importe quelle apparence. Et les Kree, ultramilitaristes, le peuple du premier Captain Marvel dont le nom extraterrestre est alors Mar-Vell. Envoyé sur Terre pour infiltrer la planète, il va finalement se retourner contre les siens et prendre le parti des Terriens.

En 1968, Mar-Vell commence à croiser Carol Danvers. Officier de l’United States Air Force, elle est responsable de la base militaire où le super-héros opère incognito. Très vite, cependant, la série Captain Marvel prend une autre direction et Carol Danvers est oubliée. Jusqu’en 1977.

Inspirée de la militante Gloria Steinem

On porte souvent au crédit de Marvel que la maison d’édition, sous la houlette de Stan Lee, s’est régulièrement emparée de la question de la lutte pour les droits civiques dans ses albums. Mais l’émergence des super-héroïnes et du féminisme est souvent, elle, plutôt attribuée à DC et son travail sur Wonder Woman par exemple. A la fin des années 1970, le responsable éditorial de l’époque, Gerry Conway, et son épouse, Carla, constatent ce manque dans leurs pages et décident de donner un nouveau souffle à Carol Danvers en la réinventant.

Le premier numéro de « Ms. Marvel » en 1977. / MARVEL COMICS

Ils vont prendre exemple sur une femme réelle, figure de proue du journalisme et du féminisme de l’époque aux Etats-Unis : Gloria Steinem. En 1971, celle-ci a cofondé une revue féministe, Ms. – contraction de Miss (mademoiselle) et Mrs (madame). Ce « mademoidame » permet aux femmes de ne pas avoir à indiquer si elles sont mariées.

Figurante autrefois, Carol Danvers devient alors la super-héroïne Ms. Marvel, l’égale de Captain Marvel, avec sa propre série homonyme. En version française, faute de mieux, elle est cantonnée à l’appellation « Miss » Marvel. Dans la série, la jeune femme tourne le dos aux services secrets et devient la rédactrice en chef du magazine Woman, un appendice du Daily Bugle où travaille par ailleurs Spider-Man.

La série va toutefois être arrêtée au bout de trois ans et Ms. Marvel va connaître dès lors un parcours en dents de scie. Carol Danvers va revenir sous d’autres pseudonymes. Elle sera Binary dans des aventures X-Men sous la plume du réputé Chris Claremont et, en 1998, au sein des Avengers, elle reviendra sous le nom de Warbird, en référence à son passé dans l’aviation militaire et s’avérera être l’un de ses membres les plus puissants.

Carol Danvers ici en discussion avec le rédaction en chef du « Daily Buggle » à la fin des années 1970. / MARVEL COMICS

En 2006, Ms. Marvel récupère sa propre série. Six ans plus tard, sous l’égide de la scénariste Kelly Sue DeConnick (Bitch Planet, Pretty Deadly), une autrice de comics ouvertement féministe, il est définitivement acté que Carol Danvers est l’héritière légitime de Captain Marvel. Elle endosse donc son nom et son rôle. Cette version, dessinée par Dexter Soy, qui est un succès de vente dès le premier numéro, semble inspirer le film. Ms. Marvel, de son côté, continue d’exister : elle s’appelle désormais Kamala Khan et est une adolescente américaine née dans une famille musulmane pakistanaise.

« Captain Marvel » telle que définie par Kelly Sue DeConninck. / MARVEL

L’esprit féministe des débuts habite plus que jamais les dernières séries. Les récents scénarios mettant en scène la super-héroïne sont le plus souvent écrits par des femmes. On a également vu Captain Marvel diriger différentes équipes de super-héros Marvel comme la A-Force, une équipe 100 % féminine. Côté costume, son habit a été revu par Jamie McKelvie, qui l’a rendu plus couvrant, pratique et martial.

« Captain Marvel » par le dessinateur Dexter Soy. / MARVEL COMICS

Autant de ressources qui permettraient donc à Captain Marvel de venir confirmer, dans le sillage du carton au box-office de Wonder Woman et de la popularité d’héroïnes comme Shuri ou Okoye (des alliées de Black Panther), qu’au cinéma, les super-héroïnes sont l’avenir des super-héros.