Aminetou Mint El Moctar, présidente de l’Association des femmes cheffes de famille, à Nouakchott, en Mauritanie, le 28 janvier 2019. / SEYLLOU / AFP

Elles sont bien décidées à ne pas se satisfaire d’un « non » à leur projet de loi sur les violences fondées sur le genre. En Mauritanie, malgré les revers au Parlement, les militantes des droits des femmes se battent pour une législation plus protectrice dans cette société conservatrice.

« Cette loi, nous en avons besoin, car on sait que les violences à l’égard des femmes montent en flèche », s’insurge Aminetou Mint El Moctar, présidente de l’Association des femmes cheffes de famille (AFCF), au sujet du texte rejeté pour la deuxième année consécutive par l’Assemblée nationale. Des ONG, dont l’AFCF, ont participé à la rédaction de ce projet de loi, approuvé en mars 2016 par le gouvernement, prévoyant en particulier l’aggravation des peines pour viol, la pénalisation du harcèlement sexuel et la création de chambres spécifiques dans les tribunaux pour les affaires de violences sexuelles.

Rencontrée au siège de l’association avec sa fille de 5 ans, Zahra (un nom d’emprunt) raconte comment celle-ci a été agressée par un voisin : « Il a pris ma fille pendant que je dormais, il l’a emmenée et il l’a violée. » Cette fois, l’âge de la victime et le profil du violeur, un pédophile récidiviste, ont assuré une rapide condamnation à dix ans de prison. Mais en Mauritanie, les auteurs d’agressions sexuelles effectuent rarement la totalité de leur peine, selon l’AFCF. « Il va en purger une année, tout au plus. Après, il peut payer une caution pour obtenir une liberté provisoire. Et puis quand il y aura une amnistie générale, il va en bénéficier », prévient Mariem, l’une des assistantes sociales qui suit le dossier.

D’où la nécessité d’une loi spécifique, selon les militantes des droits des femmes. Périodiquement, elles organisent des sit-in à l’Assemblée nationale, rappelant que le texte a été élaboré par des associations de la société civile, des oulémas et des juristes sur la base de la charia, qui est la source du droit en République islamique de Mauritanie.

« Immixtion dans la vie privée »

L’Assemblée, majorité et opposition confondues, a rejeté la loi en janvier 2017, puis une seconde fois, via la commission parlementaire de l’orientation islamique, en décembre 2018. Et ce malgré l’intervention du ministère de la justice, qui a introduit dans le texte des dispositions sans lien direct avec les violences sexuelles, notamment sur la sanction de l’adultère, ou réduisant certaines peines prévues initialement en cas de coups et blessures ou de séquestration par le conjoint. Ces amendements n’ont pas suffi à amadouer les députés, qui ont en particulier renâclé sur le concept de « genre », considéré comme relevant de valeurs étrangères, ainsi que sur certains articles portant sur le droit de voyager sans autorisation du mari ou autorisant les organisations d’aide aux victimes à se constituer parties civiles.

« La loi prévoit des sanctions qui, pour notre société musulmane, relèvent de l’immixtion dans la vie privée », a expliqué à l’AFP Zeinabou Mint Taghi, députée du parti islamiste Tewassoul (opposition). Elle a cité l’exemple des peines prévues pour un homme qui voudrait interdire aux femmes de sa famille de se promener dans des vêtements moulants, comme des pantalons serrés, ou à sa fille de vivre seule sans être mariée. De plus, la notion de « genre » contenue dans l’intitulé ouvrirait la voie à des « manifestations pour réclamer les droits des hommes efféminés », alors que l’homosexualité est interdite en Mauritanie, a-t-elle ajouté : « Nous avons donc rejeté cette loi pour la rendre conforme à la charia et à nos spécificités culturelles. »

Une autre députée d’opposition, Nana Mint Cheikhna, du Rassemblement des forces démocratiques, se déclare en revanche favorable à cette loi, même si elle lui reproche des imprécisions. « Les femmes ont évidement besoin d’une protection » dans une société où elles sont « considérées comme mineures dans les esprits et dans beaucoup de pratiques », souligne-t-elle.

Excision et mariages forcés

Dans un rapport publié en septembre, l’ONG Human Rights Watch avait salué le texte finalement repoussé par l’Assemblée comme « un pas en avant », le jugeant néanmoins « loin d’être satisfaisant, notamment parce qu’il maintient la criminalisation des relations sexuelles consensuelles hors mariage et l’interdiction de l’avortement ».

« La loi mauritanienne ne définit et ne pénalise pas convenablement les violences sexuelles », selon Human Rights Watch, qui déplorait, exemples à l’appui, que « si les femmes ou filles n’arrivent pas à convaincre les autorités judiciaires de la nature non consensuelle d’un rapport sexuel, d’accusatrices, elles peuvent se muer en accusées ». L’ONG regrettait en outre que le texte ne porte pas sur « plusieurs autres formes de violences fondées sur le genre », comme l’excision – déjà criminalisée dans la loi mauritanienne – et les mariages forcés.