Facebook cherche à redorer son blason après une année 2018 catastrophique. / JOSH EDELSON / AFP

« Avec l’assurance démesurée d’une puissance coloniale découvrant par hasard une terre lointaine déjà peuplée, Mark Zuckerberg a découvert aujourd’hui le concept de vie privée. » Passé l’effet de surprise ayant suivi la déclaration du patron de Facebook sur la vie privée, mercredi 6 mars, le scepticisme, voire le sarcasme, comme dans les colonnes du site spécialisé TechCrunch, ont nourri nombre de réactions.

Dans un long texte, Mark Zuckerberg annonce vouloir recentrer les services de son entreprise « sur la vie privée ». En se focalisant notamment sur les messages privés et les petits groupes de discussion. Le PDG évoque l’interopérabilité des messageries appartenant à Facebook (WhatsApp, Messenger, Instagram), le chiffrement des conversations privées et la possibilité de rendre les messages éphémères. Mark Zuckerberg se dit même prêt à ce que Facebook limite la durée de stockage des métadonnées – ces données qui entourent l’envoi d’un message, comme son heure ou son destinataire – et va jusqu’à déclarer : « une partie importante de la solution serait de collecter moins de données personnelles tout court. »

Ce qui pourrait ressembler à un changement drastique de modèle reste toutefois un projet très vague pour le moment : Mark Zuckerberg ne donne ni délai ni précision sur la façon dont ces grands principes pourraient se concrétiser.

Ce que soulignent certains commentateurs acerbes. Le site d’investigation The Intercept explique ainsi que « le nouveau Facebook “centré sur la vie privée” n’apporte, en fait, qu’un seul changement : la mise en place du chiffrement de bout en bout à travers les services de messagerie instantanée de l’entreprise ». Or, estime le média :

« Promettre d’abandonner un jour votre capacité d’espionner plus de deux milliards de personnes ne vous rend pas éligible au statut de saint. »

« Zuckerberg adore les grandes déclarations »

Pour The Intercept, les déclarations de Mark Zuckerberg ne sont qu’une opération de communication pour Facebook, qui cherche à redorer son blason depuis son année 2018 catastrophique. « On peut accorder autant de crédit à Facebook qui dit s’engager en faveur de la vie privée qu’à ExxonMobil qui dit s’engager contre le changement climatique », écrit un de ses journalistes, Sam Biddle, sur Twitter.

Le site TechCrunch, qui observe la Silicon Valley depuis bientôt vingt ans, n’y croit pas non plus.

« Facebook peut-il balayer un héritage de quinze ans passés à dévorer tout ce qui est d’ordre privé avec une simple tirade mal écrite ? (…) Bien sûr que non, putain, il ne peut pas. »

D’autant que de précédentes promesses, notamment liées à la vie privée, n’ont pas été tenues, rappellent Mashable et The Verge. « Ça fait presque un an que Zuckerberg nous a promis un outil pour effacer notre historique, qui empêcherait Facebook de tracer votre activité pour vous afficher des publicités privées », souligne le premier. « Zuckerberg adore les grandes déclarations », écrit le deuxième, « mais plusieurs ne se sont jamais réalisées. Est-ce que celle-ci se réalisera ? »

Comment Facebook gagnera-t-il de l’argent ?

D’autant que Mark Zuckerberg élude la question du modèle économique de Facebook. Celui-ci repose aujourd’hui sur la collecte de données, qui rend possible la publicité ciblée. Si Facebook réduit sa collecte de données, notamment en chiffrant les messages (qui deviendraient illisibles pour lui), quel impact cela aurait-il sur son modèle économique ? « Tant qu’il n’aura pas répondu à cette question, le projet de Zuckerberg sur la vie privée reste incomplet », estime le magazine Wired.

Le Washington Post se montre moins catégorique, évoquant l’exemple de la messagerie chinoise WeChat, « qui est passée d’une entreprise basée sur les communications à une plate-forme permettant une grande variété d’activités commerciales ». Dans son texte, Mark Zuckerberg dit, en effet, vouloir « élaborer de nouvelles manières d’interagir à partir de cette base [les messages privés], comme les appels audio, vidéo, les groupes, les stories, les fonctionnalités d’entreprise, les paiements », sans plus de précision.

« Dans le nouveau monde idéal de Facebook, les gens pourraient toujours parler avec leurs amis », écrit le Washington Post. « Mais ils pourraient aussi utiliser des systèmes de paiement pour transférer de l’argent à des membres de leur famille, acheter, vendre et finalement soutenir une infrastructure économique à part entière. C’est un coup audacieux, qui pourrait marcher ou non. »

« Quel outil utilise Mark Zuckerberg ? »

Difficile, toutefois, de commenter un projet dont on ne sait finalement quasiment rien, et qui amène davantage de questions que de réponses. Celle du modèle économique donc. Mais aussi ce à quoi pourrait ressembler Facebook à l’avenir. La plate-forme va-t-elle subir un lifting considérable ? Le Fil d’actualité, où s’affichent les actualités des comptes suivis par les utilisateurs, et qui fait aujourd’hui office de page d’accueil, va-t-il rester au cœur de Facebook ? Et comment vont réagir les autorités, de plus en plus regardantes vis-à-vis de Facebook, face à ces annonces relativement floues ?

La question du chiffrement est toujours au cœur de fortes crispations : si cela permet de sécuriser les conversations privées, cela empêche aussi les autorités d’y accéder, qui voient souvent cette technologie d’un mauvais œil. Qui plus est, l’un des grands reproches faits à Facebook est qu’il est devenu un vecteur majeur de diffusion de fausses informations. Si les conversations privées et chiffrées deviennent le cœur des échanges, alors il sera plus difficile, pour Facebook et les autorités, de surveiller et d’agir sur ce problème.

« Ma grande question », titille Gizmodo, « c’est quand Mark Zuckerberg veut avoir une conversation intime et chiffrée avec des amis, qui ne risque pas de le hanter des années plus tard, quel outil utilise-t-il, lui ? »