Pour la première fois de leur histoire, les Rennais sont en huitièmes de finale de la Ligue Europa. / David Vincent / AP

« Cette année, c’est la bonne ». Antienne aussi célèbre que la galette-saucisse dans les travées du Roazhon Park, l’expression refait surface alors que le Stade rennais vit la première « épopée européenne » de son histoire. Après s’être imposé en seizième de finale retour sur la pelouse du Bétis Séville (3-1), le club entraîné par Julien Stéphan reçoit, jeudi 7 mars, Arsenal en huitièmes de finale aller (18 h 55). Une première pour les Bretons, qui n’avaient jamais dépassé la phase de groupe en compétition européenne.

« Le Stade rennais, c’est un peu une promesse permanente, synthétisait le défenseur Romain Danzé en 2007. On se dit que ça va arriver. » Plus d’une décennie s’est écoulée, et les mots de l’idole du Roazhon Park demeurent d’actualité.

« Il y a une âme shakespearienne dans ce club. A chaque fois où l’on croit qu’il va réussir, au moment où il va soulever le trophée, patatras tout s’effondre », résume Benjamin Keltz. Les nombreuses « tragédies » vécues par Rennes ont poussé ce journaliste – qui collabore par ailleurs avec Le Monde – à rédiger Supporters du Stade rennais, le manuel officieux (Editions du coin de la rue, novembre 2017) tantôt manifeste, tantôt guide de survie.

Depuis 1971 et la seconde Coupe de France de son histoire, le club breton n’a plus rien gagné. Pire, il navigue de finales perdues en podiums échappés pour un but à la dernière minute de l’ultime journée, mais échoue invariablement.

« On n’est pas le Clermont du foot ! »

« En matière de scénario, on a vécu des choses incroyables, comme perdre deux fois contre Guingamp en finale de Coupe de France », s’exclame le réalisateur Fred Cavayé, rennais pur jus, qui a le club « dans [son] ADN depuis tout petit » et glisse une référence dans chacun de ses films. « Chaque année, on espère faire un beau parcours, et tous les supporteurs savent que le club a un gros potentiel, depuis son rachat par la famille Pinault », poursuit-il. En 1998, le père, François, et le fils, François-Henri, ont racheté le Stade rennais à la mairie et injecté des fonds permettant d’en faire un club ambitieux.

« A chaque fois, on est à la limite de passer un cap. Mais depuis quarante-huit ans, on court après un titre. Et on a été pas mal raillés par rapport à ça », poursuit Fred Cavayé. D’autant que le Stade rennais a longtemps traîné le fardeau du plus gros transfert du championnat de France, le très moyen Severino Lucas en 2000 (21 millions d’euros, pour six buts en deux saisons).

« Je ne peux pas laisser dire que nous sommes un club de losers, avait asséné, en 2014, avant la finale de la Coupe de France, Frédéric de Saint-Sernin qui était alors président du club, insistant sur les trois finales en cinq ans disputées par l’équipe. C’est au contraire un club capable de performer sur des matchs couperet. »

Le lendemain, Guingamp, Petit Poucet costarmoricain, lui avait donné tort, plongeant les fans rennais dans l’abîme. « Après cette finale, je suis resté prostré sur mon canapé une à deux heures sans allumer la lumière, relate Fred Cavayé. C’est comme si je n’avais pas eu le cadeau de Noël que j’avais tant espéré. »

« Cette réputation de club de la lose est assez fausse quand on fait le bilan, nuance lui aussi Antoine Biard, qui a porté les couleurs du club, enfant, et réalise un documentaire sur les ultras du Roazhon Celtic Kop. On n’est pas le Clermont du foot ! » Référence aux onze finales perdues (sur treize) par les rugbymen de l’ASM en championnat de France, et à la récurrente image de « poissards » véhiculée par les Jaunards.

S’il n’a pas atteint les sommets auxquels son rachat par les Pinault semblait le promettre, le club se distingue par sa stabilité. Avec 24 saisons d’affilée dans l’élite, le Stade rennais n’est devancé que par Paris, Lyon et Bordeaux. Et a rayé la rude définition de « petite bête rouge et noir qui monte et qui descend » de son histoire.

« Avant Pinault, Rennes faisait le yoyo entre la Division 1 et la Division 2, insistait, l’an dernier, l’entraîneur Frédéric Antonetti. Désormais, le club est installé dans le premier tiers, est régulièrement européen, n’a aucun souci de trésorerie et son centre de formation est l’un des tout meilleurs. » Mais il demeure l’un des seuls, avec le FC Metz, à n’avoir jamais été sacré champion, malgré plus de soixante ans en première division.

Changement de dimension

Cette saison, un match incarne le changement d’attitude au club. Fin novembre 2018, en phase de groupe, quasiment éliminés de la Ligue Europa, les Rouge et noir se déplacent au fin fond de la République tchèque pour affronter le FK Jablonec, 4e du dernier championnat domestique. « Cinq cents supporteurs débarquent dans ce petit stade champêtre et poussent les joueurs », relate Antoine Biard.

« Si on était resté dans notre ADN, on aurait fait match nul à Jablonek, poursuit Benjamin Keltz. Et la saison aurait été pliée. » Vainqueurs 1-0, les Rennais s’offrent une « finale » à domicile face à Astana, et lancent « ce qui commence à ressembler à une épopée », selon leur entraîneur.

En huitièmes de finale, les Rennais affrontent Arsenal, autre célèbre pestiféré. En Coupe d’Europe, les Gunners ont enchaîné les déconvenues depuis plus de vingt ans, perdant notamment trois finales (deux en Coupe de l’UEFA, en 1995 et 2000, et une en Ligue des champions en 2006) en dépit du jeu léché développé par les hommes d’Arsène Wenger.

Même en cas d’élimination, Rennes a « déjà passé un palier et ce n’est pas un feu de paille », assure Fred Cavayé. « Désormais, on n’affronte plus Simferopol ou Belgrade, prolonge Benjamin Keltz, on a l’impression d’avoir changé de dimension. »

Qualifié pour les demi-finales de Coupe de France, et vivant son premier printemps européen, Rennes entend prolonger son aventure, déterminé à se défaire de l’image de « Canada Dry : ça a la couleur d’un grand club, mais ça ne l’est pas », octroyée par son ex-entraîneur Frédéric Antonetti. Les supporteurs – dont la « capacité de résilience est hors norme », selon Antoine Biard – y croient. « Cette année, c’est la bonne ».