Mark Zuckerberg s’explique devant le Congrès américain, en avril 2018. / Andrew Harnik / AP

Analyse. Mark Zuckerberg veut faire de Facebook un réseau social centré sur la notion de vie privée. Cette volonté, détaillée, comme d’habitude, dans une note postée sur Facebook, mercredi 6 mars, nécessite davantage que des railleries, fussent-elles méritées.

Plus précisément, le patron de Facebook dit vouloir changer de logique. Facebook est aujourd’hui un réseau où le comportement par défaut tel qu’il est imaginé par ses dirigeants est de partager un maximum de choses à un nombre d’individus le plus important possible. Mark Zuckerberg entend le transformer en système où les utilisateurs parleraient et échangeraient entre proches. Facebook, dit Mark Zuckerberg, est une « place publique » et il veut le transformer en « salon ».

Pour comprendre comment ce projet – encore très vague – peut changer la vie des 2,3 milliards d’utilisateurs actifs mensuels de Facebook, il faut comprendre une chose très simple : Mark Zuckerberg ne comprend pas – et n’a jamais compris – le concept de vie privée.

D’abord, dans les premières années du réseau social, il était persuadé que cette notion était totalement dépassée. Il anticipait très officiellement un futur où personne n’aurait rien à cacher, et où toute vie pouvait être documentée publiquement. Cela lui valu, déjà, quelques déconvenues. Il a fallu plusieurs années pour que le jeune diplômé de Harvard comprenne qu’il était nécessaire d’offrir aux utilisateurs des moyens de choisir qui pouvait accéder à ce qu’ils postaient.

Une vision partielle de la vie privée

Pour Mark Zuckerberg, la vie privée s’est toujours définie ainsi : par rapport aux autres utilisateurs. Le réseau social est un parangon de vertu en la matière, a-t-il martelé devant les parlementaires qui l’ont auditionné, en 2018, après le scandale Cambridge Analytica. Et pour cause : Facebook offre bel et bien toute latitude à chacun de ses utilisateurs de choisir qui, de ses amis, pourra voir la dernière photo publiée ou le dernier lien partagé.

Mark Zuckerberg oubliait une donnée fondamentale : l’utilisateur de Facebook n’est pas seulement inquiet de ce que peuvent, ou non, voir ses amis. Il est également inquiet de ce que Facebook peut savoir de lui, de la quantité de données personnelles qu’il aspire, de la manière dont cela affecte son expérience du réseau. Et, comme les pouvoirs publics, du pouvoir que Facebook en retire. Un récent sondage a révélé qu’aux Etats-Unis les trois-quarts des utilisateurs de Facebook ignoraient qu’ils étaient classés et rangés par le réseau social dans d’innombrables catégories publicitaires, comme autant d’affinités réelles ou supposées. L’apprendre a mis mal à l’aise la moitié des personnes interrogées.

L’annonce de Mark Zuckerberg de se recentrer sur les conversations privées procède, semble-t-il, de cette même erreur de diagnostic. Peut-être le fondateur du réseau social en est-il lui-même persuadé : Facebook va mieux respecter ses utilisateurs et leur vie privée en leur permettant de partager en cercle plus restreint.

D’abord, précisons que le désamour des utilisateurs avec les aspects les plus ouverts de Facebook est ancien. Le temps passé sur l’application Facebook décroît. Les plus jeunes délaissent le réseau social traditionnel pour sa filiale consacrée à l’image, Instagram. WhatsApp est devenu l’application de base de communication directe ou en petit groupe pour plus de 1 milliard d’internautes. Les groupes Facebook, rassemblant des utilisateurs par affinité, sont devenus, en quelques années, extrêmement populaires. Les utilisateurs n’ont pas attendu le message de Mark Zuckerberg pour préférer le salon à la place publique.

Pas forcément une bonne nouvelle

Pourquoi présenter cette nouvelle priorité comme une victoire pour la vie privée ? Peut-être pour faire oublier que la fusion des messageries d’Instagram, WhatsApp et Messenger pourrait justement être une mauvaise nouvelle. A ce stade, il faut rappeler que le régulateur de la concurrence allemand a justement interdit à l’entreprise de procéder au partage de données entre WhatsApp et Facebook, que l’autorité de protection des données britannique a fait promettre à WhatsApp qu’il ne partagerait pas les données personnelles de ses utilisateurs avec Facebook avant de s’être mis dans les clous de la loi, et qu’en France la Commission nationale de l’informatique et des libertés a accusé, fin décembre 2017, WhatsApp de méconnaître le droit en partageant certaines données avec sa maison mère.

Il n’est donc pas surprenant de remarquer que sur l’aspect du respect de la vie privée qui a valu à Facebook le pire scandale de son existence – la quantité de données personnelles que Facebook récupère auprès de ses utilisateurs et avec qui il les partage – l’article de Mark Zuckerberg reste muet. Renoncera-t-il à ficher les internautes qui ne disposent pas de profil sur le réseau ? Cessera-t-il de récupérer des données automatiquement de la part d’applications tierces ? Encadrera-t-il les publicités politiques ultraciblées ? Cet aspect, pour Mark Zuckerberg, ne semble toujours pas relever du respect de la vie privée.

Sur le strict plan du respect de ce principe, deux choses sont cependant à mettre au crédit du fondateur du réseau social. D’une part, l’implémentation, à une date non encore spécifiée, du chiffrement des conversations. Facebook ne pourra plus lire ce que s’écrivent ses utilisateurs. Une myopie qui pourrait de toute façon être compensée, du point de vue de la collecte de données, par la mise en commun de toutes les métadonnées – qui parle à qui –, et ce même si Mark Zuckerberg envisage d’en limiter la conservation. D’autre part, la volonté de ne pas implanter de serveurs dans des pays dotés de « mauvais bilans en matière de vie privée et de liberté d’expression », quitte à renoncer à certains marchés, comme la Chine. Deux évolutions qui, si elles vont dans le sens d’un meilleur respect de la vie privée, sont en conflit avec d’autres impératifs du réseau social : mieux réguler les abus de ses utilisateurs et continuer sa croissance.