Rezan Epozde, l’avocat de Sila Gencoglu, déplore que certains médias aient tenté de discréditer la version de sa cliente. / FULYA OZERKAN / AFP

En portant plainte à la fin du mois d’octobre contre le célèbre acteur Ahmet Kural, son partenaire, qu’elle accuse de l’avoir violentée, la pop star Sila Gencoglu, met en lumière les violences faites aux femmes en Turquie.

Le procès d’Ahmet Kural, s’est ouvert à Istanbul jeudi 7 mars, à la veille de la Journée internationale des femmes, qui sera marquée par une marche dans plusieurs villes turques.

M. Kural, qui nie les accusations, encourt cinq ans de prison s’il est reconnu coupable. En portant plainte, la chanteuse Sila Gencoglu, connue sous le nom de scène de « Sila », a attiré l’attention sur un fléau souvent passé sous silence dans une société patriarcale, a estimé son avocat Rezan Epozdemir. « C’est très significatif qu’une femme qui a été victime de violences ait décidé de son propre gré de porter l’affaire en justice et de mettre son épreuve au cœur du débat », affirme Me Epozdemir.

Explosion du nombre de cas

Selon des associations, le nombre de femmes tuées ou victimes d’abus physiques ou sexuels des mains de leurs conjoints ou proches ne cesse d’augmenter en Turquie. En 2018, 440 femmes ont été tuées pour des raisons liées à leur genre, contre 210 en 2012, selon l’organisation non gouvernementale Nous allons mettre fin au féminicide.

Süleyman Soylu, le ministère de l’intérieur turc, a affirmé en novembre que 133 809 femmes avaient été victimes de violences en 2017 et plus de 96 000 lors des dix premiers mois de l’année 2018.

La plainte déposée par Sila a encouragé un plus grand nombre de femmes victimes de violences masculines à contacter une permanence téléphonique d’urgence mise en place en 2017 par la Fédération d’associations de femmes de Turquie (TKDF), selon la responsable de l’organisation, Canan Güllü.

La Turquie a été le premier pays à ratifier la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes, adoptée en 2011 à Istanbul. Cette convention a permis des avancées en matière de droits des femmes en Turquie, mais il reste un long chemin à parcourir, affirme la professeuse Feride Acar, de la Middle East Technical University (METU), qui a contribué à l’élaboration du texte.

« Trahison envers l’humanité »

Le gouvernement turc affirme prendre au sérieux les violences faites aux femmes, et le président islamo-conservateur, Recep Tayyip Erdogan, a qualifié en 2016 ce phénomène de « trahison envers l’humanité ».

Mais les militants des droits humains s’inquiètent de voir les coupables bénéficier de peines réduites, notamment « pour bon comportement » en détention ou lors de leurs apparitions devant le tribunal.

Ils s’offusquent aussi de ce que la réputation de certaines victimes soit salie par les auteurs des violences ou leurs avocats pour tenter de minorer la gravité du crime. Ainsi, les avocats de deux hommes accusés d’avoir sexuellement agressé et tué une étudiante à Ankara, en mai 2018, ont suscité l’indignation en laissant entendre à l’ouverture du procès le mois dernier que la victime « n’était pas vierge ». L’étudiante, Sule Cet, avait été retrouvée morte au pied d’un immeuble après être tombée du 20e étage.

L’avocat de Sila déplore pour sa part que certains médias aient tenté de discréditer la version de sa cliente. Mais il reste optimiste. « J’espère que la vérité éclatera au grand jour à l’issue du procès et que justice sera rendue. »