Passion montrer son dos. / Capcom

Oubliez le fleuret, les katanas, Excalibur. Mon épée préférée, c’est une moto Harley Davidson. Alors, oui, ça peut paraître un peu incongru dit comme ça, mais c’est la vérité : cela fait une heure trente que je tronçonne des mouches mutantes à grands coups de grosses cylindrées. Et si quelqu’un s’aventure à me dire que bon, quand même, c’est pas tip top réaliste tout ça, permettez-moi de lui rappeler que je suis Dante, mi-homme mi-démon, que je viens d’affronter un chien à trois têtes haut comme l’Arc de Triomphe, alors pardon de m’autoriser un petit plaisir coupable.

S’il y a bien un jeu vidéo à qui on ne peut pas reprocher d’être castrateur, c’est bien Devil May Cry 5, qui sort vendredi 8 mars sur PlayStation 4 et Xbox One, et a déjà reçu un accueil enthousiaste de la presse spécialisée. Son concept ne demande pas d’avoir révisé tout Aristote avant de s’amuser : dans la peau de trois chasseurs de démons, on défouraille du streum visqueux, du tas d’os avachi, de la pustule volante, de la bactérie bipède. A la chaîne, à l’arme blanche, au revolver, en sautant, en dansant, dans une sorte de séance Pilates qui tâche, le tout auréolé en permanence d’une note de style, du D minimum au SSS virtuose.

[ Devil May Cry 5 ] - Trailer de lancement - Xbox One, PS4, PC
Durée : 02:57

Quand « Resident Evil » rencontre « Power Rangers »

Historiquement, Devil May Cry est le cousin turbulent de Resident Evil, la série d’horreur du même éditeur japonais, Capcom. Il est né de sa cuisse au début des années 2000, comme un épisode refusé qui a fini par vivre sa vie à lui. Là où les aventures claustrophobiques de Jill Valentine, Leon et autres enquêteurs du surnaturel se sont piquées épisode après épisode de sérieux et de noirceur, Dante le demi-démon a pris le chemin inverse, celui de l’extravagance assumée, quelque part entre une parodie vamp de Matrix pour le goût de la pose, du cuir et des envolées au ralenti ; et un hommage aux tokusatsu à la Bioman et Power Rangers pour les kitschissimes monstres géants au goût de latex. Ici, le cool et le grotesque ne font qu’un, de manière assumée.

Ça a changé, la Fashion Week. / Capcom

Ce cinquième épisode suit pour la première fois un trio de personnages, tous jouables. Dante, héros hâbleur, historique et vieillissant, que l’on perd assez vite au champ d’honneur ; Nero, aspirant justicier à qui un démon a dévoré le bras ; et V, mystérieux nouveau venu chétif, littéraire et ténébreux, qu’escortent trois créatures bestiales infernales.

Moyennant une narration chorale atypique, faite de flashbacks et de décrochages, l’histoire raconte leur combat vain contre le roi des démons, un colosse d’émeraudes et de ronces invincible, qui terrasse le joueur dès l’introduction. Surtout, pendant une courte dizaine d’heures, le scénario court de rebondissement en rebondissement, au point de devenir assez vite la principale raison d’avancer, bien davantage que le plaisir somme toute inégal d’embrocher un énième diptère géant.

Un jeu pour les artistes du high score

Prend-on du plaisir manette en main ? La question dépend en grande partie de qui la tient. La série des Devil May Cry, avec ses combinaisons d’esthète et sa culture de la note, s’adresse prioritairement aux virtuoses du pad, ceux qui ont fait du pianotement frénétique un art de combat, et sont aujourd’hui ceintures noires en droite-bas-diagonale bas droit + bouton de coup de poing. Soyons transparents : ce n’est pas le cas de l’auteur de ces lignes, qui a parfois trouvé le temps long. Pendant les premières heures, Devil May Cry 5 fait même l’effet d’un titre un peu quelconque, poseur mais bas du front et répétitif. Sa principale qualité est de ne pas avoir de défaut, à défaut d’avoir grand intérêt, s’est-on même fait la remarque.

Défouraillage de démons. / Capcom

Et puis, les premiers twists arrivent, et d’une planchette japonaise habile, les mécaniques de combat ont commencé à évoluer, s’enrichir souvent, s’élaguer parfois. Là où la plupart des jeux vidéo procèdent par strates successives, introduisant des règles ou mouvements de base qui jamais n’évolueront, DMC 5 n’hésite pas à tordre régulièrement ses personnages et leurs pouvoirs. Jusqu’à ce combat contre le boss final, qui, cas unique à notre connaissance, est en même temps un tutoriel.

Dans ses meilleurs moments, Devil May Cry 5 donne ainsi l’impression d’un jeu iconoclaste et jubilatoire, capable d’enchaîner sans vergogne les clichés de la dark fantasy à la japonaise pour mieux s’en amuser, et dans un moment de parodie inattendu, de se tourner lui-même en dérision et de briser les codes. Paradoxe d’un jeu souvent répétitif, et en même temps, imprévisible.

Dante moins épais que Kratos

Que lui manque-t-il pour être un peu plus qu’un simple jeu d’action dévergondé ? Peut-être un peu plus d’ambition. L’aventure démoniaque de Capcom sort un an après God of War, qui évolue dans un registre comparable – castagne, fantastique et spectacle homérique –, quoique plus narratif. Ce dernier a réussi à donner corps à un monde organique, à un récit initiatique, et même à raconter quelque chose de profondément humain, ce à quoi échoue Devil May Cry 5, pour peu qu’il ait eu l’envie d’essayer, à l’image de Nero, adolescent peroxydé sans grande épaisseur.

Kylo Ren. Ah non, V. / Capcom

L’histoire avance sur fond de différends familiaux volontiers caricaturaux ; les missions, très découpées et sans architecture cohérente, ne donnent aucune impression de voyage, aucun vertige ; et les deux décors et demi qui servent de toile de fond trahissent vite le recyclage intensif auquel se livre l’aventure. Le panache des trois héros et la superbe de leurs combats sont à la fois le vrai cœur du jeu et ce qui masque la pauvreté du reste, et notamment une structure générale assez datée, faite de missions en ligne droite dans des cursives sans âme.

Et puis, alors que l’esprit s’ensommeille après une énième salle remplie de furoncles géants et de spectres flottants antipathiques, soudain un monstre colossal à l’anatomie invraisemblable envahit l’écran, une nouvelle arme absurde ou spectaculaire jaillit, ou bien le héros se met sans raison à danser le moonwalk devant les yeux écarquillés du joueur. Comme si le jeu lui demandait à intervalles réguliers : « Bon, tu t’amuses, ou il faut que je le fasse à ta place ? ». Ok, ok. Bon, où est-ce que j’avais rangé cette épée-Harley Davidson, déjà ?

En bref

On a aimé :

  • Le scénario bien mené
  • Un spectacle qui en met plein la vue
  • A la fois frimeur, drôle et décomplexé
  • Un jeu capable de se renouveler jusqu’à la fin

On n’a pas aimé :

  • Trop de missions de remplissage
  • Deux décors et demi
  • Level design sans intérêt

C’est plutôt pour vous si…

  • Vous êtes ceinture noire de jeux de castagne
  • Vous cherchez un jeu qui ne se prend pas la tête
  • Vous voulez rentabiliser votre rétroprojecteur 4K
  • Vous êtes fan de metal et de monstres de tokusatsu

Ce n’est pas pour vous si…

  • Vous ne jurez plus que par les open worlds, les jeux en mondes ouverts
  • Vous n’aimez pas les jeux d’action à score façon Bayonetta
  • Votre religion vous interdit de tuer des mouches mutantes
  • C’est vrai, quoi, qu’est-ce qu’elles vous ont fait de mal ?

La note de Pixels

7 combattants en manteau cuir, 666 balles de revolver et un chapeau pointu turlututu/10