Le président chinois Xi Jinping, à Pékin, le 5 mars. / Ng Han Guan / AP

Editorial du « Monde ». L’ascension économique de la Chine est maintenant une odyssée familière qui, en quatre décennies, a bouleversé le paysage mondial. Plus récente, sa volonté de s’affirmer aussi comme puissance militaire est apparue inévitable. Cette émergence était traditionnellement tempérée par des propos rassurants sur la bienveillance des intentions de Pékin.

Ces derniers temps, le ton a changé. De plus en plus, la Chine montre sur la scène internationale un visage revendicatif ; les tensions éclatent au grand jour.

Cette attitude, il est vrai, s’inscrit dans un contexte d’animosité croissante de la part des Etats-Unis. Dans un discours prononcé le 4 octobre à Washington, le vice-président américain, Mike Pence, s’est livré à une attaque en règle contre le pouvoir chinois, qu’il a accusé d’ingérence dans les affaires intérieures américaines et de violations des droits de l’homme avec une telle véhémence que certains experts y ont vu le début d’une nouvelle guerre froide. Parallèlement, les deux pays sont engagés dans une laborieuse négociation sur leurs échanges commerciaux, dont le président Trump considère qu’ils jouent en défaveur des Etats-Unis.

Une entreprise est à présent au centre de cet affrontement : Huawei. Washington accuse le géant chinois des télécommunications de servir de paravent à des activités d’espionnage et fait campagne auprès de ses alliés européens pour qu’ils renoncent à confier à Huawei leur équipement en 5G. Les Etats-Unis demandent l’extradition de la directrice financière de la société chinoise, Meng Wanzhou, interpellée au Canada à leur demande. Mme Meng est la fille du fondateur de Huawei, Ren Zhengfei, un personnage important en Chine.

L’UE entre le marteau et l’enclume

En retour, Pékin accuse le Congrès américain de se comporter en « juge, jury et bourreau » et attaque l’administration américaine en justice. La Chine détient depuis décembre deux ressortissants canadiens, Michael Kovrig et Michael Spavor, qu’elle accuse d’espionnage, dans ce qui est largement analysé comme une démarche de représailles.

Prise entre le marteau et l’enclume, l’Europe est elle-même la cible des ambitions chinoises. Si les investissements chinois dans l’UE ont diminué en 2018, ce n’est pas par manque d’intérêt de la Chine mais sous l’effet conjugué de la volonté de Pékin de freiner la fuite des capitaux et des efforts de Bruxelles visant à protéger les secteurs stratégiques de l’UE. Les grands pays européens ont enfin pris la mesure du danger ; cette prise de conscience est particulièrement notable en Allemagne, jusqu’ici ambivalente sur la Chine, mais dont l’influente organisation patronale, le BDI, a publié en janvier un rapport très lucide sur les visées chinoises en Europe.

Il reste à l’Union à formuler une politique commune à l’égard de la Chine, qui fasse le lien entre intérêts industriels et sécurité. L’unilatéralisme de l’administration Trump ne l’incite pas à faire bloc avec les Etats-Unis face à la Chine, et sur Huawei ses Etats-membres réagissent en ordre dispersé. La Chine joue de ces divisions : l’Italie serait ainsi prête à adopter le projet phare chinois, les « nouvelles routes de la soie », en signant un protocole d’accord proposé par la Chine. Elle deviendrait ainsi le premier pays du G7 à le faire, ce qui est vu d’un très mauvais œil à Washington et à Bruxelles.

Le président Xi Jinping est attendu en Europe fin mars, notamment à Rome et à Paris. Il serait très dommageable pour les intérêts européens que les Etats membres de l’Union ne parviennent pas, d’ici là, à se mettre d’accord pour afficher face à lui une position unitaire.