Romain Ntamack et Antoine Dupont côte à côte pour essayer d’interrompre l’Ecossais Adam Hastings, le 23 février à Saint-Denis. / Christophe Ena / AP

Et si c’étaient eux ? Et si le XV de France avait enfin trouvé sa « charnière », à l’aube de ce quatrième match du Tournoi des six nations ? Après une victoire intéressante sur l’Ecosse, l’équipe nationale conserve le même duo pour se déplacer en Irlande, dimanche 10 mars. Au centre du terrain - comme des attentes - deux jeunes talents du Stade toulousain : demi de mêlée, Antoine Dupont, 22 ans ; demi d’ouverture, Romain Ntamack, 19 ans.

C’est déjà la septième expérimentation de Jacques Brunel dans ce secteur de jeu où prévalent pourtant les automatismes : et c’est beaucoup, en quatorze matchs (dont dix défaites) depuis sa prise de fonction.

Là ou d’autres confrères ont déjà arrêté leur choix depuis des mois, le sélectionneur français tâtonne encore. Dans six mois, les Bleus disputeront pourtant, eux aussi, la Coupe du monde au Japon.

Côté adverse, dimanche, les Irlandais Conor Murray et Johnny Sexton enchaîneront leur 51e match côte à côte en sélection nationale. « Ils sont très complémentaires, c’est une paire qui se connaît par cœur, souligne l’ailier français Yoann Huget au sujet des deux adversaires. On ne voit pas l’Irlande jouer sans les deux. »

Quelques autres statistiques, un rien assommantes. Sur les sept dernières confrontations franco-irlandaises depuis 2014, la France a changé sept fois de charnière. L’Irlande, jamais : toujours le même duo Murray-Sexton.

C’est le journaliste d’un mensuel anglais (World Rugby), difficilement soupçonnable de complaisance envers l’un ou l’autre de ces pays, qui a fait les comptes sur le réseau social Twitter.

Le « plus gros problème » de Jacques Brunel

Evidemment, on peut faire dire beaucoup de choses à cet effet de contraste. D’un côté, le Trèfle irlandais, tenant en titre du Tournoi des six nations. De l’autre, les Bleus, qui courent toujours après un sacre depuis leur lointain Grand Chelem de 2010.

L’analyse fonctionne aussi avec les Néo-Zélandais, doubles champions du monde en titre. Les All Blacks aussi font confiance depuis longtemps à la même charnière : Aaron Smith et Beauden Barrett.

« On est très loin d’eux, mais c’est sûr qu’on peut s’inspirer de la manière dont ils conduisent le jeu, a reconnu Antoine Dupont auprès de l’Agence France-Presse. C’est quelque chose qui fait un peu rêver. »

Un jour, Jacques Brunel a reconnu « son plus gros problème » : « C’est de ne pas pouvoir stabiliser un axe central de notre équipe, notamment pour la charnière, dont on sait l’importance qu’elle peut avoir. »

Problème : la citation date déjà d’avant la tournée de novembre 2018 et reste toujours d’actualité, entre blessures, méforme et contre-performances.

Morgan Parra, lors de la lourde défaite en Angleterre, le 10 février 2019. / REBECCA NADEN / REUTERS

Le sélectionneur a d’abord voulu construire son projet autour des Clermontois Morgan Parra et Camille Lopez. Pourtant, ni l’un ni l’autre ne se retrouveront à Dublin dimanche, pas même en tant que remplaçants.

Officiellement, Brunel invoque « un choix sportif » et les deux défaites initiales de l’année 2019, contre les Gallois puis surtout les Anglais : « Ils n’ont pas eu le rendement qu’on attendait d’eux sur les deux premiers matches. »

Officieusement, cette mise à l’écart pourrait aussi ressembler à un blâme pour les déclarations publiques des deux joueurs après la déroute en Angleterre. ll y a un mois, Parra regrettait un manque de préparation face au jeu au pied : « Le point, il est là. Je pense qu’on ne le travaille pas assez, même pas du tout. »

Le recours actuel à l’association Dupont-Ntamack traduit un même souci : expérimenter un duo déjà habitué à jouer ensemble en club, même si le second nommé joue plutôt trois-quarts-centre lorsqu’il porte le maillot du Stade toulousain.

Des précédents existent. En 1968, le XV de France remportait son premier grand Chelem avec pour charnière deux joueurs du même club. Mieux : avec deux frères, Lilian et Guy Camberabero. Plus tard, les joueurs de La Voulte ont aussi signé un livre : Le mot de passe (éditions Calmann-Lévy, 1971). Tout un projet de jeu.