C’était en 2016. Nuit noire et froid glacial dans l’église abbatiale du Mont-Saint-Michel. Le jongleur Clément Dazin fait dialoguer ses balles blanches avec les vingt-sept ­mètres sous hauteur de la voûte. L’émotion est à son comble pour cette première opération spectaculaire programmée par Monuments en mouvement, initiative imaginée par Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux, dans ce lieu, le Mont-Saint-Michel, deuxième site des Monuments nationaux les plus visités de France (1,4 million de visiteurs) après l’Arc de triomphe, à ­Paris. Trois ans après cette performance, le lieu est de nouveau en vedette circassienne pour le festival Spring.

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Entre le nec plus ultra patrimonial et un art du corps et de l’exploit aussi pointu que populaire, l’alliance semble bien partie pour durer. « On a malheureusement tendance à laisser au cirque les friches et les espaces périphériques et c’est terriblement restrictif, s’exclame Simon Pons-Rotbardt, programmateur de ­Monuments en mouvement. Cet art dans lequel on évolue sur un fil, où l’on chute et se relève sans cesse, raconte particulièrement bien le monde écorché dans lequel nous vivons. Lui ouvrir des lieux comme le Mont-Saint-Michel ou le château de Carrouges [Orne], comme nous le faisons pour la première fois cette année, me semble une évidence. Cela permet ­d’atteindre un nouveau public pour le ­patrimoine comme pour le cirque. »

« Lettres de noblesse »

Directrice des 2 Pôles cirques en Normandie, Yveline Rapeau croit dur comme fer à l’ouverture tous azimuts – avec soixante lieux de diffusion sur ­l’ensemble de cette immense région – et confirme. « Cela permet de donner une ­visibilité forte aux artistes de cirque en métamorphosant la perception du ­spectacle. Mais plus encore, ce type de ­performance in situ donne au cirque, qui souffre toujours de son image clown et gros nez rouge, ses lettres de noblesse. C’est un espace de reconnaissance pour cet art qui en a toujours besoin. »

Monter un spectacle dans des lieux comme l’abbatiale de la basilique, la salle des gardes et le réfectoire des moines du Mont-Saint-Michel, où il faut encore ­convaincre les fraternités présentes (sept moniales et quatre moines) de la pertinence du projet, ou encore le château de Carrouges, exige des performances ­ajustées. Peu de répétitions, régime ­technique strict en son et lumière. « Il faut trouver la meilleure équation entre un univers artistique fort, une humilité technique et une architecture puissante », résume Simon Pons-Rotbardt. Surtout lorsqu’on sait qu’il n’y a qu’un treuil pour monter le matériel jusqu’en haut du Mont-Saint-Michel ou qu’il est transporté à dos d’homme.

Dans le réfectoire des moines, Noëmie Bouissou, 28 ans, a planté son mât chinois. Elle sera accompagnée en direct par la pianiste Madeleine Cazenave

Pour les différents espaces du lieu, un parcours de mât chinois, de jonglage et de corde, uniquement joué par des femmes, sera programmé. Dans le réfectoire des moines, Noëmie Bouissou, 28 ans, a planté son mât chinois. Elle sera accompagnée en direct par la pianiste Madeleine Cazenave. « J’ai l’habitude, depuis quatre ans, de créer in situ, en particulier dans les rues, sur les places des villages. Mais créer une performance pour le Mont-Saint-Michel, tellement chargé d’histoire et de spiritualité, est un défi, ­explique-t-elle. Je me sens minuscule face à ces voûtes. Cela me fait reprendre conscience de mes limites, de mon enveloppe corporelle, de mon immobilité. Je vais ­essayer de trouver une place pour mon mât qui modifiera la perspective. J’aime les proportions et la symétrie parfaite du réfectoire. Je vais tenter de jouer avec la verticalité du corps et du mât, de m’élever et retomber pour vivre et partager un ­moment, comme une bulle hors du temps. »

Sonates de Bach remixées

Au château de Carrouges, lieu seigneurial imposant datant du XIVe siècle, les perspectives architecturales changent de format et d’ambiance. Cette forteresse possède d’immenses cuisines prévues pour des banquets somptueux, à la ­hauteur des chasses à courre qui se déroulaient autour de la demeure. C’est dans l’imposante salle des fêtes que le jongleur et metteur en scène Rémi Darbois, du collectif Petit Travers, posera son solo intitulé Fragments. « Avec quelques projecteurs en tout et pour tout, cela va être délicat, mais ce type d’espace patrimonial porte toujours les spectacles à un endroit autre que celui des théâtres et ce sera une surprise pour moi comme pour le public », commente-t-il.

Balles blanches et costume noir, sur des Sonates et Partitas pour violon seul de Bach remixées par Denis Fargeton, ce solo auréolé de burlesque risque de ­détonner. Parallèlement, une exposition de photographies de ­Bertrand ­Depoortère servira d’écrin à une autre performance de jonglage par Johan Swartvagher. En ligne de mire de cette opération prestigieuse, la mise au point, à l’horizon 2020, d’un pass tourisme et culture en Normandie, avec le cirque en porte-étendard.

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