Arte, lundi 11 mars à 22 h 30, documentaire

Présente sur les écrans près de sept décennies, Danielle Darrieux, disparue centenaire en octobre 2017, n’est pas exceptionnelle seulement par cette longévité artistique unique. Débutant presque par hasard une carrière cinématographique à 14 ans (Le Bal, de Wilhelm Thiele, 1931), grâce à une actrice qui prend des cours de chant auprès de sa mère, la jeune Danielle séduit par sa fraîcheur et sa témérité, affranchie de sa timidité par le fond de teint qui masque sa tendance à rougir de ses impertinences.

Facétieuse et gracieuse, elle est l’antidote idéal à la morosité de ces années 1930 et bientôt sa légèreté lui autorise tout. Au fil des rôles, malgré son jeune âge et les conventions qui corsètent les emplois féminins, elle impose la figure d’une femme qui tient tête, refuse le compromis et ne cède qu’à son désir.

Transgression insouciante, cette ardeur la propulse à la une des magazines. On imite son look, sa coiffure, son allure, tandis qu’avec Mayerling d’Anatole Litvak (1936), elle ose l’émotion dramatique, poussée par le réalisateur Henri Decoin, son Pygmalion, qu’elle épouse à 18 ans. Le succès est mondial et Hollywood s’intéresse à cette actrice atypique d’une ­liberté « américaine ».

Rebelle à tout carcan, si elle apprend beaucoup de son séjour outre-Atlantique, elle ne craint pas de rompre le contrat qui la lie aux studios Universal

Rebelle à tout carcan, si elle apprend beaucoup de son séjour outre-Atlantique, elle ne craint pas de rompre le contrat qui la lie aux studios Universal, et apporte au cinéma français cette énergie ébouriffante qui fait le succès d’une Katharine Hepburn. Une vitalité irrésistible qui irradie Battement de cœur, de Henri Decoin, qui sort hélas en février 1940 au moment où l’Europe s’assombrit (diffusion ce lundi à 23 h 25).

L’Occupation porte une ombre à la carrière de l’actrice qui, pour sauver l’homme qu’elle aime alors, le diplomate dominicain Porfirio Rubirosa, interné en Allemagne quand son pays rejoint le camp des Alliés, accepte une tournée dans le Reich nazi.

Mais elle se réinvente après-guerre à force de volonté et d’orgueil en femme sévère, potentiellement dangereuse et souverainement amorale chez Max Ophüls (La Ronde, 1950 ; Le Plaisir, 1952 ; Madame de…, 1953, diffusé à 20 h 55), chez Joseph Mankiewicz (L’Affaire Cicéron, 1952) ou Julien Duvivier (Marie-Octobre, 1959)…

Poésie singulière

Le documentaire de Pierre-Henri Gibert sait intelligemment rappeler le parcours de Danielle Darrieux, croiser les extraits de films et les témoignages des réalisateurs Paul Vecchiali et Jacques Fieschi, du critique Pierre Murat, de l’actrice Ludivine Sagnier, très juste… Il campe la vraie nature d’une femme à l’énergie inentamable qui, jusqu’à Huit femmes, de François Ozon (2002), et Pièce montée, de Denys Granier-Deferre (2010), s’affranchit sans état d’âme des conventions mortifères.

Elle qui refusa chez Jacques Demy d’être « Madame Dame » (Les Demoiselles de Rochefort, 1967) incarne une liberté d’une poésie singulière.

Chez cette musicienne à la voix sûre, tout est affaire de rythme, d’élégance et de maîtrise, sans ­jamais céder à l’abandon ni à la démesure. Virevoltante et gracieuse, elle ne livre rien d’intime, cadenassée dans un contrôle sans faille, qui va jusqu’à masquer en frivolité les affres du désir. D’autant plus dangereuse qu’elle refuse l’émotivité qui bascule dans le mélo. Aussi parvient-elle à nimber l’énergie joyeuse qui l’anime d’un soupçon de mélancolie, comme à ombrer la joie d’un voile nostalgique. Splendeur de l’insoumise.

« Danielle Darrieux, il est poli d’être gai ! », de Pierre-Henri Gibert (France, 2018, 52 min). Arte.tv/fr/videos/080105-000-A/danielle-darrieux