Annegret Kramp-Karrenbauer, la nouvelle dirigeante de la CDU, à Potsdam, le 14 janvier. / Axel Schmidt / REUTERS

Editorial du « Monde ». Si Angela Merkel avait mis huit mois à réagir aux propositions européennes formulées par Emmanuel Macron dans son discours de la Sorbonne, en 2017, il n’a fallu que quelques jours à Annegret Kramp-Karrenbauer, qui lui a succédé à la tête de la CDU, pour répondre dimanche 10 mars à la « Lettre aux citoyens d’Europe » du président français. C’est la première réponse approfondie à l’initiative française ; il n’est pas anodin qu’elle émane de Berlin. Le débat est ouvert et les termes en sont posés.

Dans une tribune intitulée « Faisons l’Europe comme il faut » et disponible en six langues sur le site de son parti, « AKK », comme elle est surnommée en Allemagne, campe sur des positions solidement conservatrices et rejette la proposition de M. Macron d’un « bouclier social » à l’échelle de l’UE. L’idée d’un salaire minimum européen est une mauvaise approche, dit-elle, de même que tout ce qui peut ressembler au « centralisme » et à « l’étatisme européen » ou, pire encore, à la mutualisation des dettes, ce vieux cauchemar allemand. Comme le président français, elle évite la grande question qui fâche, celle de la réforme de la zone euro, tout en apportant un soutien de principe à l’union bancaire.

L’autre divergence notable porte sur l’action extérieure de l’UE. « AKK » remet sur la table la revendication d’un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU pour l’UE, une proposition qui avait déjà irrité la France lorsqu’elle avait été lancée par Olaf Scholz, le ministre allemand – social-démocrate – des finances : Paris considère en effet que ce siège ne servirait à rien tant que l’UE n’est pas capable de formuler une politique extérieure unitaire. La dirigeante de la CDU reprend, en revanche, l’idée d’un Conseil de sécurité européen incluant la Grande-Bretagne ; elle l’accompagne d’une suggestion qui ne manquera pas d’amuser les experts de défense, tant elle est irréaliste, celle de créer un porte-avions européen.

« Notre Europe doit être plus forte »

La tribune allemande contient plusieurs autres points de convergence avec le texte de M. Macron. Le postulat, d’abord, sur l’urgence et la gravité de la situation dans laquelle se trouve l’Europe : si elle veut pouvoir défendre ses valeurs dans un environnement international dégradé, « notre Europe doit être plus forte », souligne « AKK ». Sur l’innovation, le climat, la taxation du numérique, des positions communes sont clairement possibles. « AKK » n’est pas contre l’idée d’un grand débat, à condition qu’il dépasse le cadre des « élites pro-européennes ». Sur Schengen et l’immigration, enfin, elle se montre plus précise que M. Macron et plus ouverte aux préoccupations des pays d’Europe centrale.

Le fait que ce soit la présidente de la CDU, et non la chancelière Merkel, qui ait formulé la réaction allemande à l’appel de M. Macron à une « renaissance européenne » est interprété à Berlin comme un signe supplémentaire de la volonté d’Angela Merkel – informée à l’avance par M. Macron de ses propositions – de passer la main à sa dauphine.

Les Verts et le SPD ne s’y sont pas trompés, qui ont aussitôt dénoncé la faiblesse et le manque d’ambition des positions européennes de la dirigeante démocrate-chrétienne : comme la France, l’Allemagne entre en campagne pour les élections au Parlement européen, le 26 mai, dans un climat politique tendu. Mais la volonté de faire avancer le débat sur l’avenir de l’Europe est maintenant clairement exprimée de part et d’autre du Rhin.