C’est en 1989 que Qiu Xaolong quitte Shanghaï pour les Etats-Unis et décide de s’y installer après les événements de Tiananmen et la répression qui s’en suivit. Il lui faudra une dizaine d’années pour donner vie à l’inspecteur principal Chen Cao, son héros fétiche et porte-parole critique de la société chinoise et de sa politique. Dans une dizaine de romans policiers, ce personnage pittoresque, qui maîtrise tous les rouages et les subtilités de la société chinoise, aura marqué les esprits et initié un beau succès d’édition.

OLIVIER RICHARD, HZA BAŽANT / Pika Edition

L’auteur, sorte de James Ellroy à la chinoise, a vécu les affres de la révolution culturelle. Son père y a laissé la vie, et c’est de cette période si particulière de l’histoire et de son icône, Mao Zedong, que traite La Danseuse de Mao. Pour les néophytes, cela sera une surprise de découvrir ces pans entiers de la vie du Grand Timonier, dissolue et même considérée comme franchement décadente selon certains témoignages directs (dont celles du médecin personnel de Mao lui-même, Li Zhisui), alors que la Chine de l’époque vivait dans un mélange de puritanisme et de sévère répression sexuelle. C’est ce secret de polichinelle aujourd’hui, bien gardé cependant à l’époque par les zélotes de Mao Zedong, dont nombre regrettent le culte, que l’enquêteur de Shanghaï va découvrir. Comme les autres enquêtes de Chen Cao, celle-ci se passe au milieu des années 1990, avant les révélations sur la lascivité de l’homme d’Etat, offrant d’ailleurs de jolis points de vue urbains sur une ville alors en pleine mutation.

OLIVIER RICHARD, HZA BAŽANT / Pika Edition

Pour raconter cette histoire hors du commun, les éditions Pika ont invité Olivier Richard et Hza Bazant dans leur collection « Graphic ». Le premier est un fin connaisseur de la société chinoise et a écrit le scénario. Le second, connu pour son trait coloré et intense, s’est emparé de l’illustration pour ces 170 pages, qui n’ont cependant pas l’exubérance chromatique que l’on connaît de ce jeune graphiste polonais, avec un ouvrage au dessin très neutre et avare en couleurs.

C’est au final une histoire tragique et cruelle envers les femmes, qui évoque de manière assez critique le règne de Mao Zedong, mais plus généralement la férocité, voire le sadisme, du pouvoir chinois (l’évocation du destin de la concubine Qi est terrifiante). La narration d’ensemble très touffue est parfois un peu difficile à suivre, mais la personnalité de l’inspecteur Chen Cao, ses marottes poétiques et culinaires, et surtout la force incroyable de ce récit inspiré de faits réels en font un document graphique haletant.

Olivier RICHARD, Hza BAŽANT / Pika Édition

La Danseuse de Mao, d’Olivier RICHARD et de Hza BAŽANT, en librairie depuis le 19 janvier, éditions Pika, 176 pages, 20 euros.