A Alger, le 11 mars 2019, après l’annonce par le président Abdelaziz Bouteflika qu’il ne briguera pas un cinquième mandat. / RYAD KRAMDI / AFP

L’année 2019 s’annonçait comme une année électorale « ordinaire » pour le régime algérien. Le président Abdelaziz Bouteflika, malade et largement absent depuis son accident vasculaire cérébral (AVC) survenu en 2013, briguait un cinquième mandat. Avec l’appui de son clan, des milieux sécuritaires et d’affaires, l’élection du 18 avril aurait pu être une formalité. C’était compter sans la vitalité du peuple algérien, massivement descendu dans les rues et qui vient d’obtenir un premier pas en arrière du régime, lundi 11 mars, avec l’annonce par le chef de l’Etat du retrait de sa candidature et du report sine die du scrutin.

Retour sur ces quelques semaines qui vont durablement marquer l’histoire de l’Algérie.

  • Samedi 2 février : le « système » se met en branle

Les partis de la coalition au pouvoir annoncent leur souhait de voir le président Bouteflika concourir à l’élection. Le premier ministre, Ahmed Ouyahia, déclare cependant qu’« il est évident que M. Bouteflika n’animera pas sa campagne électorale », parce que sa santé ne le lui permet pas et qu’il n’en a pas besoin « car le peuple le connaît désormais ».

  • Dimanche 10 février : le « message » de Bouteflika

Dans un « message à la nation » diffusé par l’APS, l’agence de presse officielle algérienne, M. Bouteflika annonce son intention de briguer un cinquième mandat. La missive répond également aux nombreuses interrogations que suscite son état de santé, fortement dégradé depuis son AVC : « Bien sûr, je n’ai plus les mêmes forces physiques qu’avant […], mais la volonté inébranlable de servir la patrie ne m’a jamais quitté et elle me permet de transcender les contraintes liées aux ennuis de santé. »

  • Vendredi 22 février : premières manifestations

Répondant à des appels anonymes lancés sur les réseaux sociaux, des dizaines de milliers de personnes descendent dans la rue, principalement à Alger mais aussi à Oran, Constantine et Sidi Bel Abbès, pour protester contre la candidature du président. Les rassemblements prennent de court le régime et l’opposition. Dans un pays où les manifestations sont largement réprimées – et interdites depuis 2001 à Alger –, leur ampleur est inédite. Au cours de l’après-midi, le portrait géant du président qui trône dans le centre-ville est arraché et piétiné.

  • Dimanche 24 février : Bouteflika part en Suisse

La présidence annonce que le chef de l’Etat part à Genève, en Suisse, pour un « court » séjour afin d’« effectuer ses contrôles médicaux périodiques ». Depuis son AVC, M. Bouteflika quitte régulièrement l’Algérie pour se faire soigner à Paris, Grenoble ou Genève. Quand il n’y est pas, il reste dans sa résidence médicalisée de Zeralda, en banlieue d’Alger. Au même moment, la diaspora algérienne, notamment à Paris et Marseille, manifeste son soutien au mouvement de contestation algérien.

  • Mardi 26 février : le régime se crispe

Alors que les étudiants et les universitaires rejoignent la contestation, Abdelmalek Sellal, ancien premier ministre et directeur de campagne du chef de l’Etat, affirme que « nul n’a le droit d’ôter à Bouteflika son droit constitutionnel de se porter candidat ». Le chef de l’état-major de l’armée et vice-ministre de la défense, le général Ahmed Gaïd Salah, avait au préalable traité les détracteurs du cinquième mandat d’« ingrats » ignorant les « réalisations » de Bouteflika.

  • Vendredi 1er mars : nouvelles manifestations

Pour le deuxième vendredi consécutif, des dizaines de milliers d’Algériens manifestent dans tout le pays. Le monde entier salue le caractère pacifique, drôle et multigénérationnel de ces rassemblements inédits. L’esprit bon enfant qui anime les manifestations est aussi une réponse au premier ministre, Ahmed Ouyahia, qui, la veille, brandissait le spectre d’un scénario à la syrienne.

  • Dimanche 3 mars : Bouteflika officiellement candidat

Le dossier de ­candidature de M. Bouteflika, qui a fêté ses 82 ans la veille dans un hôpital de Genève, est déposé auprès du Conseil constitutionnel à la date limite, non par le président en personne mais par son nouveau directeur de campagne. Le soir même, sur une chaîne publique, une lettre du chef de l’Etat est lue, dans laquelle il s’engage s’il est réélu à ne pas aller au bout de son mandat et à céder sa place à l’issue d’une présidentielle anticipée qui devra être organisée après la tenue d’une conférence nationale. Les engagements du président n’ont pas les résultats escomptés : les manifestants sortent de nouveau dans la rue.

  • Vendredi 8 mars : les défections se multiplient

Des manifestations monstres se déroulent dans tout le pays, tandis que le front autour de la candidature du président se fissure. Le retournement le plus spectaculaire vient des rangs des anciens combattants de la guerre d’indépendance, qui, quelques semaines plus tôt, disaient leur soutien « indéfectible » à leur « compagnon d’armes ». La très influente Organisation nationale des moudjahidin dénonce des institutions loin d’être « à la hauteur des aspirations légitimes de notre peuple ». Dans les milieux d’affaires, réputés proches du régime, des chefs d’entreprise font part de leur ralliement à la contestation populaire.

  • Dimanche 10 mars : Bouteflika est de retour

Retour de M. Bouteflika en Algérie après deux semaines d’absence. La contestation semble inarrêtable. Preuve en est le changement d’attitude du général Ahmed Gaïd Salah, fidèle parmi les fidèles du président. Celui-ci assure désormais que l’armée « s’enorgueillit de son appartenance à ce peuple brave et authentique et partage avec lui les mêmes valeurs et principes ». Contrairement aux habitudes, il n’évoque ni M. Bouteflika, ni l’élection à venir. Dans le même temps, un mouvement de grève, partiellement suivi, témoigne de la détermination du peuple à barrer la route à un cinquième mandat.

  • Lundi 11 mars : pas de cinquième mandat

Dans une lettre adressée aux Algériens, le président annonce qu’il ne briguera pas de cinquième mandat et que l’élection du 18 avril est reportée sine die. D’ici à la fin de l’année, une conférence nationale est chargée d’élaborer un projet de Constitution. Si l’annonce est accueillie avec joie dans les rues d’Alger, la méfiance reste de mise, comme en témoignent les titres des médias algériens : « Bouteflika prolonge le quatrième mandat » (El Khabar), « Bouteflika partira, le système attendra ! » (El Watan), « Bouteflika propose aux Algériens une “transition” gérée par le pouvoir » (TSA). De nouveaux appels à manifester sont lancés pour le vendredi 15 mars.

Notre sélection d’articles pour comprendre la contestation en Algérie

Depuis le 22 février, le mouvement de protestation le plus important des deux dernières décennies en Algérie a poussé des dizaines de milliers de personnes dans les rues pour exprimer leur opposition à un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, avant l’élection présidentielle prévue le 18 avril.

Retrouvez ci-dessous les contenus de référence publiés par Le Monde pour comprendre la crise qui traverse le pays :

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