A Skopje, le 30 janiver 2019. / ROBERT ATANASOVSKI / AFP

La pollution de l’air tue. Et le nombre de ses victimes a jusqu’ici été très largement sous-estimé, selon une étude publiée mardi 12 mars dans l’European Heart Journal. La revue médicale de la Société européenne de cardiologie conclut en effet que cette pollution serait à l’origine d’environ 800 000 morts prématurées en Europe chaque année. Un bilan sinistre, qui atteint près de 9 millions à l’échelle de la planète. Des chiffres deux fois supérieurs aux dernières estimations officielles.

Dans son rapport 2018 publié en octobre, l’Agence européenne de l’environnement concluait que l’exposition aux particules fines (PM2,5, de diamètre inférieur à 2,5 micromètres), principalement, était responsable d’environ 422 000 morts prématurées (avant l’âge de l’espérance de vie) dans l’ensemble des 41 pays européens, dont 391 000 dans les 28 Etats membres de l’Union européenne (UE).

L’excès de mortalité imputable à la pollution de l’air ambiant serait en fait de 790 000 au niveau continental, dont 659 000 au sein de l’UE, assurent les auteurs de l’étude dirigée par une équipe de chercheurs allemands de l’Institut Max-Planck de chimie. A l’échelle de la planète, ils arrivent au chiffre impressionnant de 8,8 millions de morts par an, soit près du double des 4,5 millions de morts retenus jusqu’ici par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la pollution de l’air extérieur.

« Plus de morts que le tabac »

« Pour mettre ces résultats en perspective, cela signifie que la pollution de l’air fait plus de morts chaque année que le tabac, responsable de 7,2 millions de décès selon l’OMS », commente l’un des auteurs, Thomas Münzel, de l’université de Mayence (Allemagne), qui fait remarquer qu’« on peut éviter de fumer, pas de respirer un air pollué. » Rapporté à la France, le nombre de morts prématurées imputables à une mauvaise qualité de l’air serait de 67 000. Beaucoup plus que l’estimation de 48 000 morts retenue depuis quelques années par Santé publique France et reprise dans toutes les communications officielles.

Comment expliquer un tel décalage ? Pour parvenir à ces résultats fortement révisés à la hausse, les chercheurs ont construit un nouvel outil statistique. Appelé « Global Exposure Mortality Model » (GEMM), il permet une analyse plus poussée que le Global Burden of Disease (« fardeau mondial de morbidité ») utilisé par l’OMS. Le GEMM s’appuie sur pas moins de 41 études de cohortes menées dans 16 pays et combine trois séries de données : niveaux d’exposition à la pollution, densité et âge des populations, effets sanitaires.

Avec 2,8 millions de morts, c’est la Chine qui paie le plus lourd tribut. En Europe, ce classement est dominé par le pays le plus densément peuplé, l’Allemagne, avec 124 000 décès prématurés par an. Soit 154 décès pour 100 000 habitants, ce qui correspond à une perte d’espérance de vie de 2,4 années. Avec 105 morts pour 100 000 habitants (1,6 année d’espérance de vie perdue), la France se situe au niveau du Royaume-Uni (98 décès et 1,5 année d’espérance de vie perdue).

De manière générale, la surmortalité attribuée à la pollution de l’air en Europe (133 morts pour 100 000 habitants) est supérieure à la moyenne mondiale (120), constatent les chercheurs. « Cela tient à la combinaison d’une piètre qualité de l’air et d’une forte densité de population qui aboutit à une exposition parmi les plus élevées du monde », décrypte Jos Lelieveld, de l’Institut Max-Planck de chimie.

Protection insuffisante

Autre conclusion forte de l’étude : contrairement à ce que l’on pourrait penser, les principales causes de décès liées à l’exposition à un air toxique ne sont pas à chercher du côté des maladies du système respiratoire, comme le cancer du poumon, mais des pathologies cardiovasculaires. Les scientifiques estiment ainsi qu’entre 40 % et 80 % de ces décès sont dus à des infarctus et à des accidents vasculaires cérébraux. Les particules fines ne s’arrêtent pas aux voies respiratoires mais pénètrent profondément dans l’organisme par le système sanguin jusqu’au cœur et au cerveau. Les auteurs rappellent que l’exposition à long terme aux PM2,5 augmente de 13 % les risques de développer des pathologies coronariennes par pallier de 5 µg/m3.

Aujourd’hui, l’UE fixe une limite annuelle d’exposition de 25 µg/m3. Largement insuffisant pour protéger la santé des Européens, tranchent les chercheurs. L’OMS recommande d’ailleurs de ne pas dépasser le seuil de 10 µg/m3. Certains pays, comme les Etats-Unis, s’en rapprochent (12) et d’autres, comme l’Australie, ont des seuils encore plus protecteurs (7).

Il est urgent que l’Europe aligne sa réglementation sur celle de l’OMS, estiment les chercheurs, qui invitent également l’organisation onusienne à revoir son propre seuil à la baisse. Dans l’idéal, le niveau d’exposition aux PM2,5 ne devrait pas dépasser 2 à 3 µg/m3. On en est très loin. Les discussions en cours dans le cadre de la révision de la directive européenne sur la qualité de l’air visent seulement un passage de 25 à 20 µg/m3.

Pour les auteurs, une amélioration de la situation ne passe pas seulement par des normes plus ambitieuses mais aussi et d’abord par l’abandon d’un modèle de développement fondé sur les énergies fossiles. « Dans la mesure où la plupart des particules fines et des autres polluants de l’air en Europe proviennent de la combustion des énergies fossiles, il est urgent de passer à d’autres sources d’énergie, propres et renouvelables », plaide le professeur Lelieveld.

Avec ses collègues, il a tenté d’évaluer le bénéfice escompté de la réduction des émissions de carbone nécessaire pour rester sous la barre des 2 degrés de réchauffement climatique de l’accord de Paris. « Nous pourrions réduire les taux de mortalité liés à la pollution de l’air en Europe de jusqu’à 55 % », s’enthousiasme le professeur Lelieveld.